Cornelius
Castoriadis concevait la politique comme le fruit d’une institution
imaginaire de la société. Envisageons alors la thèse suivante : notre
régime politique et ses institutions découlent de la combinaison de trois rêves
collectifs, un rêve de puissance, un
rêve d’abondance et un rêve d’émancipation. Ces rêves correspondent à
trois idéologies - le nationalisme,
le libéralisme et le socialisme - dont l’affrontement a
généré différents compromis au cours de l’Histoire européenne. On peut dire en
ce sens que chaque élection présidentielle est l’occasion de réactiver la
puissance créatrice de l’imaginaire collectif. Cette puissance s’est par
exemple manifestée en France lors de l’élection de François Mitterand en 1981 :
le rêve d’abondance lié à celui d’émancipation sociale, en sacrifiant le
rêve de puissance. Depuis, tous les
présidents se sont inscrits peu ou prou dans cette veine sociale-libérale.
Les
trois rêves ont une immense force mobilisatrice par leur capacité à affirmer ce
qui devrait être, face à ce qui est, mais la réalité, par nature, résiste à nos
désirs. Ainsi le compromis social-libéral s’effrite sous nos yeux par le triple
effet de la mondialisation, du djihadisme et du dérèglement climatique, alors
même que le rêve de puissance, comme
un spectre qui hante l’Europe, n’a jamais disparu, il a juste été supplanté
pendant quelques décennies, disqualifié par les horreurs commises au XXème
siècle en son nom. Si l’on suit ce fil, il semble que nous sommes arrivés au
point ultime de désenchantement des rêves d’abondance
et d’émancipation sociale, alors que
le rêve de puissance revient, sous
les traits d’un petit homme vociférant.
On
sait depuis Socrate que la raison argumentative est faible face à la rhétorique
des rêves, des espoirs qu’ils suscitent et des sentiments puissants qui les
portent, comme la peur et la colère. La transition énergétique, la
réindustrialisation, la décroissance, la réforme de l’école ou de l’hôpital,
n’auront jamais la puissance mobilisatrice d’un rêve collectif. Ainsi il
faudrait un autre rêve pour contrer le retour tragique du rêve de puissance ? Lequel ?