mercredi 16 septembre 2020

Y a-t-il encore une vérité derrière les masques ?

 

Parmi les multiples catastrophes en cours, il y a la dissolution d’une de nos valeurs essentielles : la vérité. Depuis l’apparition de la philosophie, puis de la science, elle se présentait sous la forme d’un discours logique, rigoureux et cohérent, soumis à la critique des pairs, qui rendait compte de faits établis pour les décrire, en comprendre le sens ou en expliquer la cause. Succédant aux Maîtres de vérité – devins, poètes, prophètes, prêtres – dont l’autorité garantissait la véridicité de la parole, les savants produisaient un discours autonome qui devait convaincre par lui-même, indépendamment de ses auteurs. Ce régime de vérité à vocation universelle est en train de s’effondrer sous nos yeux, sapé par la défiance envers les institutions qui le soutenaient en garantissant son autonomie. Deux formes de pensée - plus profondes et puissantes que leur radicalisation complotiste - concourent à la disqualification de l’ancien régime de vérité :

Le révisionnisme généralisé et l’intentionalisme masqué.

Le révisionnisme généralisé se déroule en temps réel, boosté par la puissance planétaire instantanée des réseaux sociaux : tout fait établi par un canal institutionnel est immédiatement contredit par des « faits alternatifs » énoncés par des médias « indépendants », il faut entendre ici qu’ils ne sont soumis à aucune normes, aucun code de déontologie ni aucun contrôle par les pairs. La défiance en voie de généralisation vis-à-vis de toutes les institutions - abusivement assimilée à l’esprit critique - est contrebalancée par une confiance aveugle vis-à-vis de médias non institutionnels, (chaînes Youtube, sites « alternatifs »,…).

L’intentionalisme masqué est le motif principal de cette défiance : toute vérité « officielle » est immédiatement interprétée comme une tentative de manipulation au service des structures de pouvoir (Etats, organismes de recherche, fondations privées, grandes entreprises,…). Celles-ci ont toujours tenté d’instrumentaliser à leur profit la vérité des élites savantes, alors même que celles-ci étaient justement considérées comme un rempart contre elles. Ainsi un renversement est en train de s’opérer sous nos yeux : alors que les Lumières avaient fait de la vérité des savants un vecteur d’émancipation, elle apparaît aujourd’hui pour un nombre croissant de citoyens, notamment les plus jeunes, comme un vecteur d’asservissement.

Or la démocratie a partie liée avec l’ancien régime de vérité car la discussion et la délibération dans l’espace public ne sont possibles qu’à partir d’un socle de vérités établies admises par tous. Si cette base commune disparaît la discussion devient impossible, il ne reste que le pur rapport de force entre des discours mutuellement incompatibles. Il faut donc défendre la place centrale de la vérité savante dans l’espace public de la discussion raisonnable, qui est au fondement-même de toute démocratie digne de ce nom.