dimanche 24 décembre 2023

La préférence nationale est-elle un piège rhétorique ?

 


L’expression « préférence nationale » est considérée comme le marqueur principal des discours d’extrême droite Ainsi elle est devenue pour beaucoup une marque d’infamie, alors qu’une majorité de français semblent la plébisciter. Une des explications de ce hiatus est peut-être qu’elle contient une ambigüité qu’il faut analyser pour expliciter ce qu’elle signifie en fait.

L’idée même de nation implique un partage entre nationaux et étrangers, des droits et des devoirs différents. La « préférence nationale » au sens propre désigne ainsi d’abord l’exclusivité du droit de vote, de la possibilité d’intégrer la fonction publique, le droit de travailler sans autorisation préalable, ouvrant des droits sociaux liés à des cotisations versées. Il y a donc de fait, dans tous les pays une « préférence nationale ». Or cette formule signifie tout autre chose dans le champ politique.

La loi « immigration » illustre parfaitement cette confusion. L’ensemble des commentateurs pointent qu’elle inscrit la préférence nationale dans la loi. On comprend alors le sens pratique de ce concept flou : rendre autant que possible la vie plus difficile pour les étrangers en situation régulière vivant, étudiant, travaillant sur notre sol, en diminuant drastiquement leurs droits. Préférence ? Aucunement : cela n’améliorera en rien la situation des français, mais cela rendra encore plus difficile l’intégration des immigrés en situation régulière, cela les précarisera encore davantage en vue de leur exploitation économique dans des secteurs essentiels de notre économie (le bâtiment, l’agriculture, l’hôtellerie-restauration,…).

L’expression « préférence nationale » est ainsi un leurre rhétorique qui masque une idée moins consensuelle : l’éviction nationale des immigrés.

Double victoire du RN : symbolique et politique.

Symbolique puisque le concept flou qu’il promeut depuis longtemps est plébiscité par les français qui ne soutiendraient pas autant l’éviction nationale.

Politique puisque le Conseil constitutionnel va certainement retoquer un certain nombre d’articles de la loi, confirmant ainsi l’idée chère au R.N. qu’il faut modifier la constitution pour y inscrire la préférence nationale, masque soft de l’éviction nationale.


vendredi 8 décembre 2023

Israël-Palestine : vaut-il mieux comprendre ou connaître ?

 

Connaître et comprendre sont deux facultés de l’esprit qui semblent a priori inextricablement liés : peut-on dire qu’on connaît quelqu’un si on ne le comprend pas, et inversement peut-on dire qu’on le comprend si on ne le connaît pas ? Mais dès lors qu’il s’agit de saisir la complexité d’une chose, d’une personne ou d’une situation, ces deux gestes mentaux semblent s’opposer. Connaître implique d’entrer dans la complexité, au risque de s’y perdre, alors que pour comprendre l’esprit a besoin de réduire cette complexité, pour trouver la lumière. Plus on creuse, plus on s’enfonce, moins on y voit clair ! Par ailleurs, la nécessité de survivre a privilégié chez l’humain la compréhension instantanée, à la connaissance qui demande des efforts et du temps. Ainsi notre besoin de comprendre est existentiel alors que notre désir de connaître est facultatif.

L’avènement des médias électroniques, connectés et instantanés, a amplifié cette opposition. Alors que la recherche de connaissance exige une enquête longue, fastidieuse, dont l’issue est toujours incertaine - plus on en sait, plus on prend conscience de l’étendue de notre ignorance -, notre besoin de compréhension du monde est sans cesse satisfait par des algorithmes qui confirment nos préjugés. Ce besoin s’appuie sur deux outils cognitifs de simplification : la généralisation et la dichotomie. Par la première nous ramenons le particulier au général : « les … sont… » (au choix : les femmes, les arabes, les musulmans, les palestiniens ou les juifs,…). Par la seconde nous ramenons tout au partage entre le bien et le mal, les gentils et les méchants, les dominants et les dominés, les oppresseurs et les opprimés.

Ainsi, le Hamas est assimilé à la cause palestinienne, alors même que tout prouve qu’il n’en a rien à faire, et le gouvernement israélien actuel est vu comme le bras armé des juifs du monde entier, alors qu’il n’est soutenu que par une minorité d’entre eux. Cette confusion a été portée à son paroxysme dans certaines universités états-uniennes où des appels au génocide des juifs ont été tolérés au nom de la sacro-sainte liberté d’expression. Au prétexte de la résistance contre un Etat par nature « colonisateur », donc intrinsèquement mauvais, il est légitime de soutenir une organisation fasciste coupable de viols, de tortures, de mutilations et d’enlèvements ; les ennemis de mes ennemis sont mes amis.

Combien de ceux qui « comprennent » la situation en Israël-Palestine, ont fait l’effort de se plonger sérieusement dans la longue Histoire de la création d’Israël, des guerres visant à l’empêcher, des occasions de paix ratées, des organisations ayant intérêt à entretenir le conflit. Le nombre de ceux qui comprennent est tellement supérieur au nombre de ceux qui cherchent à connaître.