jeudi 28 novembre 2013

Faut-il sacrifier la liberté au nom de la sécurité ?



Au fondement de l’Etat moderne, il y a la volonté de concilier deux principes : assurer aux individus à la fois un maximum de liberté et un maximum de sécurité. Or ces deux principes sont essentiellement antagonistes : la liberté apporte l’émancipation au prix du risque et de l’incertitude, la sécurité apporte la tranquillité au prix de l’aliénation. Face à cet antagonisme, la tendance naturelle des Etats est toujours de maximiser la sécurité au détriment des libertés, la loi qui pénalise les clients des prostitué(e)s en apporte un nouvel exemple.
Principe de liberté : l’Etat n’a pas à s’immiscer dans les relations privées – et notamment sexuelles - entre adultes consentants.
Principe de sécurité : l’Etat doit protéger les individus contre les violences qu’ils subissent.
Dans le cas de la prostitution, il apparaît clairement que l’antagonisme entre ces principes est maximal. Par ailleurs, la prostitution « libre » n’étant qu’une partie marginale du phénomène global, ceux qui revendiquent haut et fort la liberté de se prostituer, apparaissent au mieux comme des idéalistes qui vivent dans un monde abstrait… ou au pire comme des « salauds » - cf le lien - qui cautionnent la violence faite à l’écrasante majorité des prostitué(e)s. On pourrait alors en conclure que dans ce cas précis, la sécurité devrait prévaloir à bon droit sur la liberté. Certes, mais avant de juger, il y aurait un autre élément à prendre en compte : cette loi est clairement un aveu d’impuissance de l’Etat face aux réseaux mafieux, et il est plus que probable qu’elle limitera la liberté… sans améliorer aucunement la sécurité des prostitué(e)s.
L’histoire nous apprend une chose : l’efficacité de la lutte contre les mafias est efficace à une seule condition, attaquer là où ça fait mal… au portefeuille – comme l’expérience italienne l’a démontré -, outre la prison, la confiscation totale de l’intégralité du patrimoine des mafieux… C’est la seule peine qui puisse les faire reculer. Mais il faudrait une volonté politique forte pour adopter une mesure aussi directement attentatoire à la sainte propriété privée…
Bref une fois de plus, on sacrifie la liberté au nom de la sécurité, sur l’autel de la propriété.

mercredi 6 novembre 2013

Sommes-nous calculables ?



Comment se fait-il que la révélation de l’espionnage des individus à l’échelle mondiale, n’ait donné lieu qu’à une indignation polie ? Sans doute est-ce parce que la défense de notre « démocratie » et de notre mode de vie contre les barbares barbus vaut bien quelques précautions. C’est aussi qu’il n’y a au fond rien de nouveau, on est juste passé subrepticement de l’âge de l’espionnage artisanal à l’ère industrielle : là où la Stasi amassait laborieusement des tonnes de fiches et de dossiers pour espionner quelques millions de citoyens, la NSA est capable de fliquer les conversations téléphoniques de la population mondiale ! Après tout, si la paix et la sécurité sont à ce prix…
Alors même que les grands réseaux sociaux étatsuniens – Google, Facebook, Tweeter – ont reconnu être les agents de transmission de cet espionnage de masse, aucun mouvement de révolte ou de déconnection à signaler. La vie continue… Il faut relire La Boétie et Tocqueville pour se souvenir que la tyrannie, aujourd’hui comme hier, s’appuie sur la servitude volontaire des individus, et la réduction de chaque nation à un troupeau d’animaux timides et industrieux dont le gouvernement est le berger.
A mon avis, le véritable enseignement à tirer de cette révélation est ailleurs : la psychologie aurait enfin son idéal, devenir une science objective du comportement humain. Ainsi, il suffirait d’entrer quelques données objectives mesurables dans un algorithme mathématique plus ou moins complexe, pour prédire statistiquement de façon fiable le comportement d’un individu lambda. Peut-être est-ce là un bouleversement civilisationnel majeur : le passage de l’ère de l’homo économicus calculateur à celle de l’homo connecticus calculable ?