mercredi 17 novembre 2021

Avons-nous encore soif d'idéal ?


            Cornelius Castoriadis concevait la politique comme le fruit d’une institution imaginaire de la société. Envisageons alors la thèse suivante : notre régime politique et ses institutions découlent de la combinaison de trois rêves collectifs, un rêve de puissance, un rêve d’abondance et un rêve d’émancipation. Ces rêves correspondent à trois idéologies - le nationalisme, le libéralisme et le socialisme - dont l’affrontement a généré différents compromis au cours de l’Histoire européenne. On peut dire en ce sens que chaque élection présidentielle est l’occasion de réactiver la puissance créatrice de l’imaginaire collectif. Cette puissance s’est par exemple manifestée en France lors de l’élection de François Mitterand en 1981 : le rêve d’abondance lié à celui d’émancipation sociale, en sacrifiant le rêve de puissance. Depuis, tous les présidents se sont inscrits peu ou prou dans cette veine sociale-libérale.

            Les trois rêves ont une immense force mobilisatrice par leur capacité à affirmer ce qui devrait être, face à ce qui est, mais la réalité, par nature, résiste à nos désirs. Ainsi le compromis social-libéral s’effrite sous nos yeux par le triple effet de la mondialisation, du djihadisme et du dérèglement climatique, alors même que le rêve de puissance, comme un spectre qui hante l’Europe, n’a jamais disparu, il a juste été supplanté pendant quelques décennies, disqualifié par les horreurs commises au XXème siècle en son nom. Si l’on suit ce fil, il semble que nous sommes arrivés au point ultime de désenchantement des rêves d’abondance et d’émancipation sociale, alors que le rêve de puissance revient, sous les traits d’un petit homme vociférant.

            On sait depuis Socrate que la raison argumentative est faible face à la rhétorique des rêves, des espoirs qu’ils suscitent et des sentiments puissants qui les portent, comme la peur et la colère. La transition énergétique, la réindustrialisation, la décroissance, la réforme de l’école ou de l’hôpital, n’auront jamais la puissance mobilisatrice d’un rêve collectif. Ainsi il faudrait un autre rêve pour contrer le retour tragique du rêve de puissance ? Lequel ?