jeudi 24 septembre 2015

Y a-t-il un totalitarisme des gandes firmes ?




     L’affaire Volkswagen apparaît comme un scandale, une anomalie, une entorse aux règles qui encadrent le monde de l’économie. Mais il faudrait plutôt l’interpréter comme un symptôme révélateur du pouvoir exorbitant qu’exercent les grandes firmes transnationales dans les sphères politique, sociale, économique et écologique. Il serait alors légitime de leur appliquer le concept de totalitarisme. Celui-ci se définit habituellement ainsi : Système politique dans lequel l'État, au nom d'une idéologie, exerce une mainmise sur la totalité des activités individuelles. En l’occurrence, les Etats semblent eux-mêmes soumis au joug des grandes firmes… tant qu’un scandale étalé sur la place publique ne les force pas à réagir pour maintenir l’illusion qu’ils sont encore les garants de la souveraineté des peuples.
Mais l’emprise totalitaire des grandes firmes s’exerce beaucoup plus fondamentalement sur l’esprit des individus, à travers le marketing et son bras armé : la publicité. La marque, tout comme brand en anglais, désigne d’abord un signe appliqué sur un objet pour en indiquer la propriété, par exemple le marquage du bétail au fer rouge. Ainsi, d’une façon parfaitement explicite, l’objet « marqué » par la grande firme, c’est d’abord et avant tout celui qu’elle produit au-delà d’une camelote à l’obsolescence programmée : le consommateur. Le totalitarisme des grandes firmes se perpétue et d’amplifie par deux mouvements concomitants : la transformation en marchandises de toutes les activités et valeurs, et celle du citoyen soucieux du bien commun en consommateur égoïste et infantilisé.
L’actualité illustre le pouvoir qu’exercent les grandes firmes jusque sur le langage lui-même transformé en novlangue : Clean diesel ! Comme le disait Spinoza : « Certes le jugement d’un homme peut être subjugué de bien des façons et à un point presque incroyable… »


jeudi 3 septembre 2015

Faut-il enseigner la morale à l'école ?



Quand toute tentative de réforme de l’école se heurte de façon quasiment automatique à un déferlement de critiques, voici au moins un point qui fait consensus : la réintroduction de l’enseignement de la morale laïque et républicaine à l’école. Face à « l’urgence de restauration d’un ordre moral », cet apprentissage serait un - voire le - remède contre la montée de l’intégrisme, de la violence et des incivilités. Qu’en est-il ?
Je prétends que cette idée est à la fois confuse, naïve et dangereuse.
Confuse car elle assimile subrepticement deux notions distinctes : le bien et le juste. Le bien concerne l’idée de vie bonne pour soi, le juste concerne la relation avec autrui et l’harmonie sociale. Par ailleurs, elle laisse supposer qu’il y aurait une morale et une seule, alors même qu’il y a un pluralisme des doctrines morales concernant le bien ou le juste, et c’est d’ailleurs ce pluralisme qui est à la source de nombreux conflits.
Naïve car elle suppose qu’un enseignement explicite de certaines valeurs morales pourrait avoir une efficacité dans la vie réelle. Or la morale est affaire d’exemplarité et de comportement, non de connaissances. Plusieurs études montrent même que le raisonnement moral joue un rôle négligeable dans les comportements éthiques, contrairement aux émotions et aux intuitions. Combien y avait-il de professeurs de morale parmi les justes ?
Enfin, je prétends que l’enseignement de la morale à l’école est dangereux. En effet, il doit porter de façon centrale sur les trois valeurs républicaines « cardinales » : la liberté, l’égalité et la fraternité, or l’école incarne actuellement leur faillite :
Quelle liberté dans une institution hyper centralisée, hiérarchisée, réglementée, où l’autonomie est systématiquement découragée ?
Quelle égalité dans le lieu de la reproduction massive des inégalités sociales ?
Quelle fraternité dans une école qui privilégie la concurrence généralisée entre élèves et entre établissements ?
Ainsi la contradiction flagrante entre le discours de l’institution et sa réalité concrète risque fort de radicaliser la révolte et le rejet de ceux qui sont en fait visés par ce projet : les plus pauvres.