jeudi 15 avril 2021

Que voile l'anticomplotisme ?

 

     L’anticomplotisme prétend décrypter l’égarement complotiste, mais il relève lui aussi d’un examen critique. Que voile l’anticomplotisme ?

        En se focalisant sur quelques sites, quelques vidéos et quelques personnages disruptifs, en réduisant le phénomène qu’il prétend dénoncer à une défaillance psychologique, une « déchéance de rationalité » (Gérald Brunner), l’anticomplotisme des experts permet d’occulter une question fondamentale autrement plus dérangeante : Qu’est-ce qui rend possible le complotisme ? Pourquoi l’autorité des paroles institutionnelles s’est-elle effondrée ?

       La démocratie est indissociable de deux institutions : les grands médias d’information et le discours scientifique. En effet la délibération démocratique exige une base, accessible à tous, de faits établis, à partir desquels des interprétations divergentes, portées par des valeurs différentes, pourront s’affronter, se comprendre, trouver des compromis. Or nous avons assisté depuis quelques décennies à la vassalisation de ces biens communs par les puissances d’argent. A quoi sert ce rapt ? Pour diffuser la bonne parole de la modernisation, de l’adaptation, de la compétitivité, du poids insupportable des impôts et des charges sociales, il faut contrôler les grands médias généralistes. Il faut également instrumentaliser la science au profit de la recherche économiquement rentable à court terme. De la même façon, les institutions de soins, d’éducation et d’étude doivent se mouler dans l’ouverture aux techniques managériales et aux nouvelles technologies. A qui profite ce rapt ? Objectivement, à la classe des gagnants de la mondialisation, dont les enfants sont ultra majoritaires dans les grandes écoles, et qui sont surreprésentés dans les institutions de pouvoir. Pas de complot, uniquement un effet de l’éternelle lutte des classes que l’on croyait passée et dépassée.

        Cette mise sous tutelle des institutions d’établissement de faits - les grands médias généralistes et le discours scientifique – par les puissances d’argent est devenu tellement évidente qu’elle a sapé la confiance qui fondait son autorité. Sur ce champ de ruines, chacun en est réduit à chercher, dans un marché de l’information dérégulé, les « faits » qui confortent ses préjugés. Ainsi le discours complotiste se développe dans des bulles de croyances boostées par les réseaux sociaux, immunisées contre le doute et la contradiction. Mais, loin d’être la cause de l’effondrement des institutions d’établissement des faits, il n’en est qu’un effet accélérateur. Quant au discours anti-conspirationniste, savant, expert, érigeant en cause principale de la défiance généralisée le complotisme vulgaire, crédule, populaire, il joue au fond le même rôle d’occultation de la question politique centrale : l’emprise des structures de pouvoir sur nos institutions, au service de la classe des gagnants de la mondialisation, la classe favorisée qui s’enrichit toujours plus, écrit et parle dans les médias, fait l’opinion, et fait sécession en se sentant de moins en moins liée par un destin commun au reste de la collectivité. C’est cette question qui devrait être au centre de la prochaine campagne électorale.

         Une aubaine pour ceux qui ne veulent surtout pas d’un retour de la question des classes dans le débat politique, serait la constitution d’un pôle politique transclasse, antivax, antimasque, opposé à la fonction sanitaire de l’Etat social, pour une liberté individuelle affranchie des contraintes de la solidarité. L’anticonspirationnisme serait-il paradoxalement un des rouages de la mécanique qui y mènerait ?

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