samedi 6 février 2021

Les sacrifices sont-ils une protection ou une menace ?


            En temps de guerre, on nous somme de consentir des sacrifices pour faire front collectivement, les jeunes au front paient le plus lourd tribut en vies perdues, les vieux souffrent à l’arrière de pénuries et de restrictions. Or en Pandémie ce schéma s’inverse. Cela n’est pas sans conséquences.

        Le premier sacrifice est celui de la liberté au nom de la santé. La protection du groupe des « personnes à risques » rend totalement légitime des mesures liberticides pour tous, y compris pour ceux qui a priori ne risquent rien, ou très peu. Ce principe de solidarité, essentiel pour maintenir le lien social, tient encore même s’il est menacé par la dérive hyper individualiste de l’ordre néolibéral.

        Un autre sacrifice est corrélatif au premier : celui de la jeunesse pour sauver le 3ème et le 4ème âge, les « vieux ». Or ce sacrifice prolonge et aggrave les inégalités de statuts, de revenus et de patrimoines entre les jeunes et les vieux, inégalités qui se sont énormément aggravées depuis quelques décennies, et qui sont totalement paradoxales du point de vue anthropologique : les jeunes représentaient depuis toujours les forces actives à qui il incombait de soutenir et protéger les anciens, en finançant leurs retraites par exemple. Mais la précarisation galopante de la jeunesse a inversé les rôles, les jeunes perdent alors sur tous les tableaux, ils sont les plus précaires et c’est d’eux qu’on exige le sacrifice le plus rude.

         Cette injonction sacrificielle déséquilibrée est lourde de menaces : les sacrifiés d’aujourd’hui alimenteront demain le fond abyssal de rancœur et de ressentiment contre l’Etat, contre un ordre social inique, et certainement un nouveau cycle de violence dont l’épisode « gilets jaunes » n’aurait alors été qu’une version apéritive.

         Une seule issue positive est envisageable pour les sacrifiés d’aujourd’hui, un « New deal », à l’image de ceux engagés après les dernières guerres : des politiques sociales ambitieuses qui ont généreusement compensé les sacrifices consentis. Ainsi on pourrait supprimer pendant 10 ans les cotisations sociales des restaurants, cafés et des secteurs les plus touchés, en augmentant celles des secteurs qui ont profité de la Pandémie, améliorer significativement et durablement le statut des intermittents, garantir un revenu universel pour les jeunes qui arriveront dans la vie active, aider significativement les entreprises qui les embauchent, tout en augmentant la contribution des groupes « favorisés » en terme d’emplois, de revenus, de patrimoines, de retraites conséquentes, de revenus financiers. Notre prospérité est directement le fruit de politiques sociales énergiques et ambitieuses engagées après les dernières guerres. Ne sommes-nous pas en guerre ?

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