La situation actuelle nous ramène à deux questions
fondamentales : Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Ces
deux questions sont liées entre elles, mais leurs réponses respectives sont
relativement indépendantes : nous pouvons choisir de nous adapter à la
réalité contre nos idéaux, ou nous pouvons au contraire décider de refuser de
nous adapter.
Aujourd’hui, ces deux questions se posent à nous collectivement de façon cruciale.
1)
Que pouvons-nous savoir ?
Nous sommes noyés sous un déluge d’ « informations », mélange
indigeste de faits établis, de supputations, de fake-news, de commentaires et d’opinions
plus ou moins éclairées d’experts, de pseudo-experts, d’éditorialistes,…
Comment s’y retrouver ? Comment reconnaître un fait établi par la
communauté scientifique ? Ainsi lorsqu’un professionnel de santé s’exprime,
donne-t-il son opinion, formule-t-il une hypothèse, ou communique-t-il des
savoirs dûment validés ? Quand il nous donne des chiffres et des
statistiques, quelle est leur fiabilité ? Quand il cite des « études »,
quel est leur niveau de validité ? (étude de cas = niveau faible ; études
transversales = niveau bon en défaveur d’une hypothèse, mais médiocre en sa
faveur ; étude de cohortes importantes sur une longue période = niveau
très bon ; méta-analyse critique de plusieurs études = niveau excellent) Et
nous-mêmes, sommes-nous bien conscients des biais qui déforment notre jugement
ou rétrécissent notre perception d’une réalité d’autant plus complexe qu’elle
est quasiment inédite ? Le savoir exige un effort, ce n’est pas un produit
de consommation, aujourd’hui plus que jamais.
2)
Que devons-nous faire ?
Mesure-t-on bien le risque que nous encourons collectivement dans le
sacrifice de libertés fondamentales, comme celles de se réunir, de se déplacer,
ou dans le traçage numérique qui se met en place ? Selon l’essayiste Naomi
Klein, l’état d’urgence est souvent le cheval de Troie de ce qu’elle nomme la Stratégie du choc : les systèmes de
pouvoir utilisent depuis longtemps les désastres de toutes sortes pour imposer
leurs réformes – privatisations du secteur public, ou limitations des droits et
des libertés. On peut refuser cette vision des choses, mais on ne peut pas nier
cette évidence : nous assistons en direct à une expérience
psycho-politico-sociale qui teste le consentement collectif à des mesures
liberticides décidées autoritairement comme s’il n’y avait pas d’alternative.
Or en matière de politique, le TINA - there
is no alternative, concept créé par Mme Thatcher – est un mensonge, il y a toujours des alternatives. Mais elles
relèvent du bavardage lorsque la démocratie, la délibération et le débat public
sont suspendus au profit d’un pouvoir autocratique autoritaire dont nul ne
mesure aujourd’hui les limites.
Dans un moment où les savoirs sont incertains, devons-nous
nous adapter et accepter sans broncher de sacrifier nos idéaux démocratiques ?
Comment comprendre des politiques aussi brutales pour faire face à un engorgement
des hôpitaux, et une telle pusillanimité face au changement climatique qui
ruinera les moyens de survie de populations entières ? Après les
attentats, les gilets jaunes et aujourd’hui le covid 19, devons-nous consentir
à ce que l’état d’urgence devienne en fait l’état ordinaire ? Comme la
grenouille dans le bain que l’on chauffe progressivement, devons-nous nous résoudre
à glisser subrepticement et peut-être inexorablement vers un Etat autoritaire ?
Que sommes-nous prêts à sacrifier pour nous adapter à la situation ? Quand
nous apercevrons-nous que nous avons peut-être perdu quelque chose de plus
essentiel qu’une santé insouciante ?
Ces questions essentielles, on ne nous les pose pas,
alors posons les..