On entend souvent dire que nous sommes
sous la coupe d’une « dictature sanitaire ». Cette affirmation
n’est pas à prendre à la légère.
Dictature ? Sous
une dictature le pouvoir est concentré entre quelques personnes, les
libertés de base sont abolies « au nom du peuple » et du bien commun.
D’après cette définition élémentaire, notre régime actuel semble bien relever
de la catégorie « dictature », non d’une tyrannie, ni d’un
totalitarisme : la corruption n’a pas gangréné l’Etat, et les
opposants ne disparaissent pas sans laisser de trace. Ce constat ne signifie
pas pour autant que nous ne sommes plus en démocratie : cette dictature
se présente comme un « état d’urgence » provisoire, conforme à notre
constitution républicaine et démocratique. Pas de quoi pavoiser quand
même : d’après un indice de
démocratie basé sur 60 critères, la France, 24ème sur 167 pays,
fait partie des « démocraties imparfaites » - avec par exemple
la Hongrie, la Pologne et le Brésil, pour situer notre niveau. De ce point de
vue, nous avons considérablement régressé ces dernières années par la combinaison
de l’hyper-présidentialisme et de la pérennisation de l’état d’urgence. Nous
sommes donc actuellement dans un régime de l’exception devenue la règle, que l’on
ne peut pas encore qualifier de « démocrature » comme la Russie ou la
Turquie, mais, si l’on respecte le sens des mots, de « dictature démocratique ».
Sanitaire ? En
République, l’Etat a une mission de santé publique. Or pour la majorité des citoyens
et des experts, nous traversons une crise sanitaire grave. Aussi il semble
légitime que l’Etat prenne des mesures fortes, y compris la restriction de
certaines libertés. En effet, il ne faut jamais oublier qu’en démocratie, le
pouvoir exécutif, élu dans les règles, exprime la Volonté générale, autrement
dit, c’est nous, citoyens, qui voulons ce que décide le gouvernement. En régime
d’urgence, les mesures exceptionnelles doivent en permanence être évaluées en
fonction de leur pertinence et de leur caractère provisoire. Or si la majorité
des citoyens et des experts reconnaissent une certaine efficacité aux mesures d’obligation
du port du masque, de confinement, de restriction des déplacements et des
réunions, l’impression largement ressentie est que les restrictions de liberté dépassent
ce qui serait strictement nécessaire au vu de l’évidence scientifique établie, que
la communication gouvernementale ressemble fort à une propagande visant à
entretenir la peur et produire le consentement, et que le caractère
autocratique du pouvoir central, qui caractérise depuis longtemps
l’imperfection démocratique française, s’est considérablement renforcé, sans
perspective de retour en arrière. En effet, les périls sanitaires, sociaux, et
écologiques ne manqueront pas pour légitimer la continuation d’un état d’urgence
indéfiniment « provisoire ». Un autre facteur ne pousse guère à
l’optimisme : plusieurs études menées avant cette crise mettaient en
évidence une nette préférence d’une majorité de citoyens français pour un Etat
plus fort, plus autoritaire. On a donc de bonnes raisons de penser que nous sommes
subrepticement passés du régime de démocratie imparfaite à celui de dictature
démocratique. Ainsi 2022 sera une étape cruciale pour savoir si c’est bien
un tel régime que nous voulons collectivement.
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