Chaque époque a ses mots fétiches qui collent à l’air
du temps, qui synthétisent les angoisses, les espérances collectives, des idées
confuses en attente d’élucidation. Il en va ainsi aujourd’hui du mot « effondrement ». L’inflation récente
de ses occurrences semble être une des manifestations immédiatement perceptible
d’une idée largement partagée : nous vivons la fin d’une ère de prospérité
et de confiance dans le progrès. Une discipline, la collapsologie, est même
apparue pour étudier l’effondrement
qui, de simple hypothèse, est devenu un objet d’étude, et petit à petit, pour
certains, un fait établi : un double processus - écologique et
civilisationnel – qui toucherait donc à la fois la nature et la culture, soit
la totalité de notre monde. L’effondrement
apparaît donc comme une version postmoderne de la fin du monde. Les
paniques apocalyptiques sont vieilles comme le monde, mais l’idée d’effondrement, en tant qu’hypothèse, mérite
d’être examinée.
L’effondrement
écologique ne fait guère de doute : bouleversement climatique, fonte de la
bio-diversité, épuisement des ressources naturelles, sont les stades avancés de
l’entreprise moderne de destruction de la nature et de conversion totale des ressources
terrestres en profits. Quant au second effondrement,
celui de la société industrielle, il semble très probable, car la perpétuation de
celle-ci implique la disponibilité à un faible coût de l’énergie et des
matières premières, deux éléments sérieusement remis en question par le premier
effondrement. Les énergies
renouvelables sont encore loin d’offrir une alternative globale à l’énergie
fossile, et le recyclage ne compensera pas, loin s’en faut, le gaspillage consumériste
planétaire de la camelote jetable. Ainsi l’effondrement
considéré dans ses deux dimensions n’est pas un pur fantasme, mais le
prolongement à la limite d’une catastrophe qui a déjà commencé.
Toutes les civilisations ont connu une expansion, une
apogée, un déclin et un effondrement, alors pourquoi la nôtre
ferait-elle exception à cette règle générale ? Selon cette hypothèse, un
changement radical du mode de vie occidental indissociable de la
techno-industrie serait inéluctable à court terme. Faut-il s’y préparer ? Faut-il
l’ignorer en s’achetant une bonne conscience écolo à peu de frais ?
Comment penser l’impensable : la fin brutale et imminente de notre
civilisation techno-industrielle ?
Deux scenarii diamétralement opposés : le chaos
du chacun pour soi, la guerre de tous contre tous, ou un ordre pacifique de
communautés humaines vivant à l’échelle locale, en démocratie directe. Selon
cette version irénique, l’effondrement ne serait pas la fin du monde mais celle
d’un monde, celui de la techno-industrie, des méga-systèmes de pouvoir, du
règne de la marchandise et de l’aliénation économique. Une utopie libertaire
réalisée ?… Imagine all the people !