samedi 24 juillet 2021

Le passe sanitaire est-il antidémocratique ?


La restriction des libertés individuelles caractérise les dictatures, mais elle ne contredit pas l’idéal démocratique si elle est légitimée par le bien commun. Rousseau formulait ainsi cette idée : « Il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n’a pour borne que la force de l’individu, de la liberté civile qui est limitée par la Volonté générale […] ce que tout citoyen devrait vouloir pour le bien de tous. ». De ce point de vue, le problème que pose le passe sanitaire n’est pas tant l’atteinte aux libertés individuelles que la question de savoir s’il émane de la Volonté générale et du bien commun. Deux autres questions en découlent : Qui détermine le bien commun ? De quelle autorité légitime émane la Volonté générale ?

Le bien commun en pandémie signifie la solidarité de tous avec les personnes exposées. En l’occurrence, dans cette pandémie, il faut distinguer deux groupes : les personnes fragiles du point de vue biologique, les personnes vulnérables du point de vue psychosocial. Les mesures de confinement découlaient d’un arbitrage en faveur du premier groupe dont les vies étaient directement menacées.

La Volonté générale est une fiction nécessaire qui résulte d’un accord entre les citoyens quant au bien commun, au sacrifice de leur bien personnel – leurs désirs, leurs intérêts et leurs libertés individuelles. En régime représentatif, l’autorité conférée par l’élection rend légitime l’expression de la Volonté générale par les élus. Or la pandémie survient dans une période de perte de légitimité du pouvoir et de défiance généralisée envers les institutions en charge de la délibération démocratique.

Le passe sanitaire, contrairement au confinement, n’implique pas un arbitrage entre les vies fragiles et les vies précaires. Aucun groupe ne peut se sentir injustement sacrifié. Par ailleurs, la 4ème vague causée par le variant delta menace gravement les vies fragiles dont plusieurs centaines de milliers ne sont pas encore vaccinées, alors-même que la balance bénéfice / risque des vaccins, tel qu’il ressort du consensus scientifique, penche clairement du côté des bénéfices. Aussi le problème que pose le passe sanitaire n’est pas tant le sacrifice de certaines libertés, que le fait qu’il émane d’une autorité en perte de légitimité.

La Volonté générale ne peut pas apparaître comme le choix du Prince, éclairé par un Conseil scientifique opaque, entériné par un Parlement chambre d’enregistrement. Dans ce contexte de déliquescence de l’idée-même de bien commun, les citoyens sont renvoyés à leur égoïsme naturel. Une situation anomique où « Nul ne veut le bien commun que quand il s’accorde avec le sien. » (Rousseau)