samedi 23 décembre 2017

L'antiracisme est-il devenu raciste ?



L’antiracisme réfutait l’assignation d’individus à une « race », une communauté supposée biologiquement homogène, du fait d’un caractère commun à partir duquel les racistes infèrent de façon fallacieuse un ensemble d’états mentaux, de caractères, de tendances ou de comportements.
Or, trois polémiques récentes sont révélatrices d’une mutation de l'antiracisme. Le déguisement d'Antoine Griezman en basketteur des Harlem Globetrotters pour une soirée années 80, la « crinière de lionne » que la nouvelle Miss France attribue à sa « prédécessoeur » martiniquaise, la « Nuit des noirs » des carnavaleux dunkerquois. Cette mutation se manifeste d’abord par une sur-interprétation de tous les discours et comportements. La nouvelle police des mœurs et des discours évoque, à bon droit semble-t-il à première vue, la tradition raciste étazunienne des « Blackface », où les personnes noires étaient ridiculisées dans les music-halls blancs, ainsi que la vieille association raciste entre peau noire et animalité. Alors, n’est-il pas légitime de condamner tout ce qui de près ou de loin semble relever de stéréotypes raciaux ? Ou bien n’est-il pas contre-productif de voir le racisme partout, même là où il n’est pas dans les intentions des acteurs ?
Le déguisement de Grizou n’évoque-t-il pas celui de Dieudonné en rabbin ? Mais dans ce cas, le déguisement était accompagné d’un discours clairement antisémite, c’est-à-dire explicitement dirigé contre une communauté de fait. Mais qui est sensé se sentir outragé ici ? Une hypothétique « communauté noire ». Ainsi, le nouvel antiracisme en vient à redonner consistance à une différence communautaire entre « les blancs » et « les noirs ». Le problème c’est que le nouvel antiracisme met dans le même sac les actes authentiquement racistes – les insultes, les violences, les discriminations -, et ce qui relève du jeu avec la différence. Par ailleurs, il assimile abusivement l’islamophobie à une forme de racisme, alors qu’il s’agit d’abord du rejet d’une idéologie – l’Islam - qui accompagne et justifie une violence atroce et un renforcement de l’antisémitisme, une des formes les plus odieuse du racisme. Le racisme est un sujet grave, et il faut le combattre farouchement. Or ces polémiques apparaissent dans un contexte où le racisme et l’antisémitisme montent en puissance de façon très inquiétante.
L’antiracisme hyperbolique a pour effet paradoxal d’instituer des communautés de « racisés » à la place des « races », il consiste au fond, non pas à rejeter le racisme en lui-même, mais à revendiquer le monopole de la parole autorisée pour sa propre communauté. Ainsi les « blancs » devenus « souchiens » n’ont pas le droit de se déguiser en « noirs » ou de  caricaturer l’Islam, – ce nouvel antiracisme n’est clairement pas Charlie. On renvoie Griezman à sa « blanchité » pour interpréter son déguisement comme attentatoire à la communauté noire. C’est cette sur-interprétation qui permet de fonder un « nous » (les noirs en l’occurrence) face à un « eux » (les blancs). Le nouvel antiracisme réinterprète le racisme non comme l’institution imaginaire et fallacieuse de communautés raciales – les « races » -, mais comme une offense envers une communauté « racisée » - les « noirs » - par une autre, non moins racisée – les « blancs ». Ce racialisme est au fond une forme de racisme !