La Nuit debout est autre chose qu’un mouvement d’opposition
à la « loi travail », elle « ne revendique rien »… si ce n’est
l’essentiel : l’aspiration à une démocratie « réelle ». En effet
la démocratie ne peut qu’en un sens extrêmement faible s’accommoder d’une
classe politique professionnelle, reconduite d’élections en élections, soumise
à une idéologie unique, le néolibéralisme, sans jamais rendre de compte sur ses
échecs, ses promesses non tenues, son incapacité chronique à dessiner les
contours d’un avenir commun, à créer les conditions d’une solidarité entre les générations,
entre les classes sociales. La question est d’autant plus cruciale que l’idée
se généralise selon laquelle notre système, de fait une oligarchie élective, est
à bout de souffle. La Nuit debout est-elle le moment historique d’une
régénération démocratique, le moment du Demos ?
L’avènement du Demos, le Peuple souverain, implique le
conjonction de la grève générale et de la réunion d’une assemblée constituante,
moment exceptionnel à la fois insurrectionnel et institutionnel. A cette aune
on mesure qu’on est loin, très loin de ce moment fondateur, même si on n’en a
pas été aussi près depuis longtemps.
Mais Nuit debout est aussi, quoiqu’en disent ses acteurs, l’annonce
d’un péril : la dérive vers un mode autoritaire de la démocratie – la démocrature
– le démon du Demos. En opposant de façon manichéenne les élites et le peuple,
les riches et le peuple, « eux » et « nous », le moment du Demos
risque aussi d’être aussi celui des tribunaux populaires, des comités et des
milices, du lynchage des « ennemis du peuple », eux, les autres qui
ne veulent pas du changement, qui freinent le cours de l’histoire, les « réacs »,
les « fachos »,…
Quand la foule expulse un vieux philosophe sous les
insultes et les crachats, pour cause de pensée non-conforme, les amis de la
liberté doivent trembler.