Le
mouvement des « gilets jaunes »
est saturé de symboles, de dualités contradictoires, de clivages et de ruptures :
Le gilet jaune symbolise d’abord une contrainte réglementaire du code
de la route dans une situation de danger. Ainsi ce choix emblématique renvoie immédiatement
à la confrontation entre la sphère de la vie matérielle, la vulnérabilité du
vivant, et la sphère de la rationalité administrative. Transposé dans le cas
présent : un péril macrocosmique, le dérèglement climatique, et une
réponse réglementaire.
Par ailleurs, au cœur du
conflit, il y a l’essence c’est-à-dire l’essentiel, ce à quoi il ne faut pas
toucher. En l’occurrence, il y a conflit entre deux valeurs cardinales :
la préservation de la biosphère, ou celle de l’automobile, envisagée comme condition
nécessaire de l’autonomie individuelle, la liberté de déplacement, mais aussi comme
une servitude, sans alternative, du fait de l’éloignement entre les lieux de
vie et les lieux de travail et d’approvisionnement.
Le
mouvement des gilets jaunes, c’est aussi
et surtout deux logiques diamétralement opposées. D’une part, celle,
technocratique, de la haute administration qui a intronisé M. Macron Monarque
républicain, et qui tient de fait les rênes du pouvoir. C’est la froide
rationalité calculatrice : un peu de taxes par ici, un petit chèque de
compensation par là, un zeste de pédagogie pour faire avaler la pilule, et hop,
le problème est réglé. D’autre part, celle, existentielle, de ceux qui rament
pour joindre les deux bouts, qui subissent l’ubris fiscale des taxes qui s’accumulent,
et qui ont l’impression de plus en plus tenace que l’effort fiscal, quelle
qu’en soit la finalité, n’est pas équitablement réparti.
Les
gilets jaunes symbolisent enfin les
clivages qui fissurent notre société : clivage entre Paris et la province,
les zones rurales ou périurbaines et les grandes métropoles, les élites
surdiplômées, compétitives, et les classes laborieuses exposées aux alea de la
machine économique, les bobos parisiens et les ploucs, les Deschiens, juste
bons pour être sondés en période électorale.
Il y a une longue histoire
française de révoltes fiscales, qui, des jacqueries paysannes jusqu’à la
Révolution française, ont ébranlé un pouvoir central perçu comme lointain,
arbitraire, inique. Jeu de mot éclairant : les « Gilles et John ». Les Gilles,
ce sont les niais de la comédie burlesque, les idiots du village gaulois, John c’est le roi polyglotte, high-tech,
cosmopolite, urbain, émancipé de l’assignation à un territoire ou une identité.
Les gilets jaunes sont le signe
précurseur d’une défiance profonde vis-à-vis de la classe politique : M.
Macron a été élu sur une base électorale de moins de 17% du corps politique,
complétée par ceux qui ont voté contre Mme Lepen. « En même temps »
un mouvement profond de rejet des élites politico-administratives en place a
produit les Trump, Bolsonaro, Salvini et autre Orban. Le rejet du populisme
nationaliste ou le rejet des élites mondialisées ? Rendez-vous dans trois
ans pour cette gigantomachie politique.