vendredi 9 février 2024

Faut-il prendre au sérieux l'hypothèse de la guerre ?

     L’inflation du terme « réarmement » dans le discours politique est un signe : l’hypothèse de la guerre est à nouveau dans les esprits. En effet soixante années de paix relative, nous ont fait oublier que la guerre arrivait jadis périodiquement comme un phénomène quasi-naturel, sur lequel les hommes ordinaires n’avaient pas prise. Aujourd’hui des sondages montrent que « près des deux tiers des Français estiment qu’une déflagration mondiale peut se déclencher dans les prochains mois. » (Sondage Ipsos 2022). Cette hypothèse est-elle rationnelle ?

            Pour qu’une guerre se déclare, il faut un ennemi. Or les ennemis ne manquent pas qui haïssent la démocratie libérale, la liberté des mœurs qu’elle incarne, et la civilisation occidentale, son hégémonie culturelle, sa responsabilité écrasante dans le dérèglement climatique et la raréfaction de ressources vitales comme l’eau ou la terre.

            Pour qu’une guerre se déclare, il faut des conditions sociales. Or Les frontières de l’intolérable cèdent sous nos yeux, pour des pans entiers de la population - gilets jaunes, agriculteurs, précaires, pauvres. Leur juste colère alimente à son tour une haine qui envahit chaque jour davantage les réseaux sociaux.

 Pour qu’une guerre se déclare il faut des conditions psychologiques. Or ce ne sont pas l’esprit de nuance, de finesse, et la culture de la discussion argumentée qui prospèrent, mais leurs contraires : la rigidité intellectuelle, le complotisme, le manichéisme, la pensée binaire.

Pour qu’une guerre se déclare, il faut des conditions médiatiques. Or des structures de pouvoir de plus en plus concentrées se livrent une guerre sans limite pour capter notre temps de cerveau disponible. Les outils de propagande n’ont jamais été aussi puissants pour produire l’enrôlement des esprits, manipuler l’information, promouvoir le faux et discréditer le vrai.

Pour qu’une guerre se déclare, il faut des conditions politiques. Or la défiance vis-à-vis des institutions, des partis et de la classe politique est à son comble. Le populisme nationaliste autoritaire apparaît pour de plus en plus de citoyens comme une alternative à la démocratie parlementaire.

 

Il y a un dernier élément crucial : on oublie que, malgré la répulsion qu’elle produit, il y a aussi une force d’attraction de la guerre sur des esprits désemparés, une passion de la guerre, associée à l’idée de régénération, à une intensification du sens de l’existence. Alors sommes-nous aujourd’hui comme ceux qui, en 1910 ou en 1930, au bord d’un cataclysme mondial, diraient après coup : nous savions mais nous n’y croyions pas ?

Faut-il alors prendre au sérieux l’hypothèse de la guerre ?