Le moins que l’on puisse dire, c’est que la période
actuelle est marquée par une ambiance de violence, entre individus, entre
groupes, entre forces politiques, entre pays. Dans les débats sur ce thème la
notion d’empathie est souvent évoquée comme un antidote, il conviendrait donc
de la développer grâce à des « kits
pédagogiques pour des séances d’empathie à l’école » (source :
eduscol.fr). Or cette idée soulève plusieurs problèmes : d’une part, il
est douteux que l’empathie soit susceptible d’être enseignée ou développée, d’autre
part, loin d’être un remède contre la violence, elle en est peut-être un des
ressorts.
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L’empathie ne relève pas de l’éducation
car elle est une capacité immédiate à percevoir et comprendre les états
émotionnels des autres. Elle serait le fondement de la morale car elle suscite un
souci de l’autre, de son bien-être ou du moins un engagement pour une
atténuation de sa souffrance. Rousseau nommait ce sentiment, naturel et inné
chez tout individu, la Pitié, - une
répugnance innée et instinctive face à la souffrance d’autrui mais il pointait
qu’elle est susceptible d’être inhibée par les capacités acquises dans la vie
sociale, principalement « l’Amour
propre ». L’éducation morale, moins efficace que l’empathie, serait
donc nécessaire pour vivre en société.
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De la philosophie à la psychologie
sociale, la notion d’empathie est passée de la pure spéculation à l’observation
objective, ainsi les études ont montré que cette prédisposition psychobiologique
était fortement modulée par un « biais
de groupe ». En effet l’empathie est proportionnelle à la proximité :
forte vis-à-vis de ceux que nous percevons comme semblables (famille, clan,
groupe ethnique, religion, nationalité,…), elle est atténuée vis-à-vis des « autres »,
voire même réduite à zéro si ces autres sont perçus comme hostiles.
Or nous vivons une période de repli communautaire, d’exacerbation des
questions d’identification à des semblables, donc de distinction vis-à-vis des
autres. Les affiliations religieuses ou idéologiques n’y peuvent rien, au
contraire elles augmentent la dissymétrie empathique. Ainsi, concernant la
violence israélo-palestinienne, le partage binaire et manichéen en deux camps
produit mécaniquement une empathie sélective qui conduit à relativiser
voire-même disqualifier les souffrances de l’autre camp.
Quant à l’éducation à l’empathie, plutôt qu’un kit pédagogique pour des « séances d’empathie » au bon gré des
enseignants - comme les séances d’éducation sexuelle autrement plus
essentielles -, il faut transmettre encore et toujours les principes d’équité
et de justice, en faisant de la vie scolaire une expérience quotidienne de mise
en pratique de ces principes.