L’antiracisme réfutait l’assignation
d’individus à une « race », une communauté supposée biologiquement
homogène, du fait d’un caractère commun à partir duquel les racistes infèrent de
façon fallacieuse un ensemble d’états mentaux, de caractères, de tendances ou
de comportements.
Or, trois polémiques récentes sont
révélatrices d’une mutation de l'antiracisme. Le déguisement d'Antoine Griezman
en basketteur des Harlem Globetrotters pour une soirée années 80, la
« crinière de lionne » que la nouvelle Miss France attribue à sa « prédécessoeur »
martiniquaise, la « Nuit des noirs » des carnavaleux dunkerquois. Cette
mutation se manifeste d’abord par une sur-interprétation de tous les discours
et comportements. La nouvelle police des mœurs et des discours évoque, à bon
droit semble-t-il à première vue, la tradition raciste étazunienne des
« Blackface », où les personnes noires étaient ridiculisées dans les
music-halls blancs, ainsi que la vieille association raciste entre peau noire
et animalité. Alors, n’est-il pas légitime de condamner tout ce qui de près ou
de loin semble relever de stéréotypes raciaux ? Ou bien n’est-il pas
contre-productif de voir le racisme partout, même là où il n’est pas dans les
intentions des acteurs ?
Le déguisement de Grizou n’évoque-t-il pas
celui de Dieudonné en rabbin ? Mais dans ce cas, le déguisement était
accompagné d’un discours clairement antisémite, c’est-à-dire explicitement dirigé
contre une communauté de fait. Mais qui est sensé se sentir outragé ici ?
Une hypothétique « communauté noire ». Ainsi, le nouvel antiracisme
en vient à redonner consistance à une différence communautaire entre « les
blancs » et « les noirs ». Le problème c’est que le nouvel
antiracisme met dans le même sac les actes authentiquement racistes – les
insultes, les violences, les discriminations -, et ce qui relève du jeu avec la
différence. Par ailleurs, il assimile abusivement l’islamophobie à une forme de
racisme, alors qu’il s’agit d’abord du rejet d’une idéologie – l’Islam - qui
accompagne et justifie une violence atroce et un renforcement de l’antisémitisme,
une des formes les plus odieuse du racisme. Le racisme est un sujet grave, et
il faut le combattre farouchement. Or ces polémiques apparaissent dans un
contexte où le racisme et l’antisémitisme montent en puissance de façon très
inquiétante.
L’antiracisme hyperbolique a pour effet
paradoxal d’instituer des communautés de « racisés »
à la place des « races », il consiste au fond, non pas à rejeter le
racisme en lui-même, mais à revendiquer le monopole de la parole autorisée pour
sa propre communauté. Ainsi les « blancs » devenus « souchiens »
n’ont pas le droit de se déguiser en « noirs » ou de caricaturer l’Islam, – ce nouvel antiracisme n’est
clairement pas Charlie. On renvoie Griezman à sa « blanchité » pour
interpréter son déguisement comme attentatoire à la communauté noire. C’est
cette sur-interprétation qui permet de fonder un « nous » (les noirs
en l’occurrence) face à un « eux » (les blancs). Le nouvel antiracisme
réinterprète le racisme non comme l’institution imaginaire et fallacieuse de
communautés raciales – les « races » -, mais comme une offense envers
une communauté « racisée » - les « noirs » - par une autre,
non moins racisée – les « blancs ». Ce racialisme est au fond une
forme de racisme !