samedi 14 janvier 2023

Quels sont les enjeux de la retraite ?

 

La réforme annoncée par Mme Borne a suscité d’emblée une opposition générale. Outre le rejet d’une rationalité strictement économique, celle-ci s’explique par l’occultation d’autres enjeux au moins aussi essentiels. Parmi eux, deux sujets tabous : la « valeur-travail », le poids des retraités sur les actifs.

La « valeur travail », unanimement prônée à droite et à gauche, est le noyau moral de la réforme : on vit plus longtemps, on doit donc travailler plus longtemps, pour contribuer à la richesse nationale et permettre à l’Etat social de redistribuer. Mais cette « valeur », à peine atténuée par les carrières longues et la pénibilité de certaines tâches bien circonscrites, masque le volume des « Bullshit jobs ». David Graeber, anthropologue et économiste, définit ainsi ce concept : « les emplois rémunérés si totalement inutiles, superflus ou néfastes, que même les salariés ne parviennent pas à justifier leur existence. » Autrement dits, des « boulots à la con », selon le jugement de ceux-là-mêmes qui les font. Des études menées dans différents pays évaluent ces boulots à la con antre 35 et 45% des emplois. David Graeber propose une autre catégorie : les « boulots de merde », socialement utiles mais tellement sous-payés et précarisés que les salariés qui les assument se retrouvent au bout du rouleau bien avant l’âge de la retraite. Ces boulots à la cons et boulots de merde forment la masse de ceux qui ont commencé à travailler tôt, qui travailleront un ou deux ans de plus, ceux dont l’espérance de vie en bonne santé est inférieure à celle de ceux dont les études leur auront permis d’échapper à ce destin funeste, qui arrivent de toute façon à 64-65 ans au moins après une carrière complète, et qui pourraient sans problème travailler quelques années de plus.

Un autre enjeu, non moins essentiel et occulté, est le poids économique de la génération des boomers : ils ont dorénavant plus de revenus et de patrimoines que les actifs, un renversement inédit dans toute l’histoire du travail. L’enrichissement global de cette génération – qui masque de grandes inégalités -, la mienne, a profité d’une croissance artificiellement boostée par un endettement abyssal, et par une surconsommation énergétique et matérielle qui a détruit la planète et bousillé le climat. C’est aussi cette génération qui constitue le noyau dur des soutiens à la réforme actuelle : « Travaillez plus longtemps… pour garantir le paiement de nos pensions, assurer notre vie de rentiers pantouflards. » semblent-ils dire.

Ce à quoi on reconnait la vérité, c’est qu’elle est difficile à accepter.