mardi 22 avril 2014

Peut-on en finir avec l'esclavagisme ?



 Être esclave, c’est être réduit au rang d’objet, dans un rapport de domination, rapport par lequel l’esclave déleste le maître de la charge des besognes nécessaires, afin que celui-ci puisse consacrer l’essentiel de son temps aux activités libres, plus nobles (version féodale), plus hautes (version antique) ou plus distrayantes (version moderne).
Ma thèse est que, contrairement à ce qu’il nous plait de croire, nous ne sommes jamais sortis de l’esclavagisme ! Celui-ci a juste changé de forme : le passage des esclaves animaux aux esclaves humains puis aux esclaves machines a masqué la permanence du principe esclavage, insupportable aux yeux de la société occidentale qui se sent moralement si supérieure aux sociétés « barbares » du passé, ouvertement esclavagistes.
Et pourtant jamais dans l’histoire humaine, une société n’a tant dépendu de l’esclavage, ni autant cumulé ses 3 formes. Alors que le recours aux esclaves était autrefois réservé à une mince couche de la société, la classe aristocratique, il s’étend aujourd’hui à la classe moyenne mondiale dont chaque représentant dépend pour vivre de plusieurs dizaines d’« équivalents esclaves ». Ainsi par la magie de la rationalité instrumentale, l’individu occidental moyen peut calculer son empreinte écologique, appellation politiquement correcte de sa dépendance vis-à-vis de l’esclavage animal et machinal, mais il peut aussi calculer son « empreinte esclavagiste » (lien ci-joint) autrement dit la dépendance de son mode de vie vis-à-vis d’esclaves humains, sous-prolétaires « délocalisés » hors de sa vue, en Asie notamment, employés pour des salaires de misère aux tâches productives pénibles, ingrates, répétitives, abêtissantes, déshumanisantes.
Le grand rêve de la modernité occidentale était le remplacement des esclaves humains par les esclaves machines, mais pas la suppression du principe esclavage en lui-même. Ainsi, la permanence de ce principe quasi-universel, combiné à l’épuisement des ressources en matière et en énergie fossile qui sape drastiquement les possibilités de recours à grande échelle aux esclaves machines, rendent tout à fait imaginable la recrudescence à très grande échelle de l’esclavage humain.

jeudi 3 avril 2014

Peut-on savoir quelque chose sans y croire ?



Clément Rosset affirme dans un petit bijou de philosophie intitulé Le réel et son double qu’il n’est « Rien de plus fragile que la faculté humaine d’admettre la réalité ». Cette thèse se vérifie en moultes occurrences à l’échelle de l’individu, mais c’est à celle des sociétés qu’elle devient absolument évidente. En effet, l’Histoire confirme abondamment la capacité d’auto-aveuglement des hommes quant à ce qui leur pend littéralement au nez. Mais jamais auparavant, le dédoublement cognitif entre ce que nous savons et ce que nous croyons n’a été aussi abyssal : la destruction de la nature à l’échelle planétaire, prophétie d’autant plus forte qu’elle relève d’un savoir scientifique sur-documenté. Cette aveuglante évidence reste en effet purement théorique, puisque nous nous révélons collectivement incapables d’en tirer les implications pratiques en termes de comportement, à savoir la nécessité d’une modération drastique de notre consommation matérielle et énergétique, non pour éviter la catastrophe – elle est déjà en cours – mais pour en limiter les conséquences futures.
Nous savons mais nous n’y croyons pas… suffisamment pour accepter de changer notre point de vue sur le monde, nos formes de vie et nos habitudes. L’aveuglement volontaire se dédouble et se renforce d’une paresse de la volonté. Ainsi nous préférons croire au capitalisme « éco-responsable », aux voitures « propres », aux éoliennes, au recyclage, aux produits bio… pour ne rien changer.
Mais c’est au niveau politique que l’aveuglement volontaire atteint son paroxysme : notre système s’avère intrinsèquement incapable de penser et d’agir vis-à-vis des catastrophes à venir car les coûts de l’action préventive sont énormes alors que les gains politiques sont nuls. En effet, étant donné que ce qu’on a évité n’a aucune visibilité, empêcher un évènement d’advenir est totalement contre-productif en matière électorale. Pire : appeler à la modération de la consommation, agir pour la diminution du « vouloir d’achat », remettre en question la sacro-sainte croissance réductrice de chômage… au prix de la destruction du monde, sont suicidaires en matière électorale.