dimanche 25 septembre 2022

Que cache l'injonction de sobriété ?

     On assiste depuis peu à une hyper-inflation du mot « sobriété » dans les médias et sur les réseaux sociaux. Affublée d’adjectifs variés, la sobriété peut être heureuse, numérique, énergétique, matérielle,…  Le terme frappe l’imaginaire car il relève de registres anciens et hétérogènes, à forte valeur symbolique, comme la philosophie antique, la religion, la médecine, l’écologie, la spiritualité. Ainsi cette richesse sémantique explique le flou qui entoure un terme qui peut être interprété comme modération, abstinence, tempérance, frugalité, ou ascèse. Cette inflation doit être questionnée, car, portée par le langage politico-médiatique mainstream, elle semble aussi relever de la propagande.

Le changement climatique n’est plus une hypothèse ou une menace lointaine, il est en train de s’opérer sous nos yeux. Ses effets irréversibles ne peuvent plus être empêchés, mais seulement atténués par une réduction drastique des émissions carbonées. Or cette réduction se heurte à des murs épais et solides : l’absence de gouvernance mondiale, l’inégalité entre les pays, la mondialisation désormais totale de l’hubris capitaliste. Ainsi l’injonction de sobriété dans les pays riches est une façon d’éviter le sujet qui fâche : la réduction immédiate et drastique de la consommation matérielle et énergétique. De ce point de vue elle apparaît comme une nouvelle bien-pensance bobo-éco-responsable, une manipulation rhétorique qui traite la question climatique en donnant bonne conscience aux individus des classes moyennes devenus « consom’acteurs », tout en culpabilisant les pauvres qui ne peuvent ni consommer moins, ni consommer « mieux », en évitant de contraindre les plus riches dont la consommation d’énergie explose, et en occultant les rapports de domination capitaliste qui détruisent la biosphère et asservissent les humains. Ainsi la formule « capitalisme responsable » est une contradiction dans les termes, en effet, pour qui douterait encore qu’en régime capitaliste tout doit changer en permanence pour que rien ne change, il suffirait de réaliser que trois indicateurs mondiaux ne montrent aucun signe d’infléchissement : la consommation de matière et d’énergie, les flux de touristes et de marchandises, le budget de la publicité.

Que cache donc l’injonction de sobriété ? Une dépolitisation de la question climatique à travers l’hyper responsabilisation des individus, l’adhésion du plus grand nombre à l’idéologie de la surconsommation devenue « socio-éco-responsable », et au mythe du capitalisme vert qui sauvera le monde.