samedi 31 octobre 2020

Sommes-nous pris dans une guerre de civilisation ?

 


La recrudescence des attentats islamistes fait penser à certains que nous vivons, sous une forme hyper violente, le fameux « Choc des civilisations » - cf l’ouvrage célèbre de Samuel Huntington paru en 1996. D’après eux, les fous d’Allah seraient le bras armé de l’Islam qui aurait déclaré la guerre à la civilisation française, européenne ou occidentale, au choix. Mais il y a une autre interprétation qui me semble plus pertinente, car le projet essentiel de ces pauvres hères décérébrés et de ceux qui les manipulent, vise selon moi un tout autre but : exacerber l’islamophobie chez les occidentaux pour forcer les musulmans « ordinaires », par contre-réaction, à adhérer à leur projet islamo-fasciste… contre l’idée-même de civilisation. Pour y voir plus clair, il est essentiel de revenir à la distinction entre culture et civilisation.

La culture concerne l’humanité toute entière, un groupe, ou un individu. La première acception relève de l’opposition nature / culture, la seconde comprend des formes acquises de comportement, la troisième est un idéal de développement des facultés intellectuelles et morales.

La civilisation se partage entre deux pôles : le premier est un système formé par plusieurs cultures intégrées dans un ensemble beaucoup plus large – la civilisation musulmane, européenne, chinoise, etc ;.. -, le second constitue l’horizon-même de l’histoire de l’humanité : le processus civilisationnel illimité de sortie de la barbarie, qui cumule le meilleur du génie propre à chaque civilisation – au premier sens -, en vue de l’émancipation et de l’excellence dans les activités les plus hautes de l’intelligence humaine dans les domaines de l’art, de la science, de la politique, de la civilité.

Il est clair que l’islamisme, simple culture au second sens, ne correspond à aucun des régimes de la civilisation. Il n’y a donc aucun « choc des civilisations », mais guerre contre l’idée-même de civilisation. Au premier sens, contre l’idée que la civilisation arabo-musulmane puisse revêtir plusieurs formes culturelles, il s’agit d’un projet hégémonique. Au second sens, contre l’horizon d’un idéal émancipateur de l’histoire humaine, il s’agit d’une régression barbare qui rejette l’art, la science, l’hospitalité, la tolérance et l’émancipation des femmes.


 

mercredi 21 octobre 2020

Peut-on dissocier la liberté d'expression et l'esprit critique ?

L’attentat dont a été victime Samuel Paty, fait suite à son cours sur la liberté d’expression. Or parmi les réactions très nombreuses à cet horrible attentat, l’esprit critique est souvent présenté comme indissociablement lié à celle-ci. Il y a là une confusion qui me semble problématique pour bien saisir les enjeux de cet évènement dans les débats qui ont lieu un peu partout, notamment dans les équipes pédagogiques comme celle dont je fais partie.

-       La liberté d’expression est au fondement du libéralisme politique : toute opinion a le droit d’être exprimée dans l’espace public, hormis la diffamation, l’appel au meurtre ou à la haine raciale. Cette liberté inclut bien sûr la liberté de critiquer, et donc celle de blasphémer, car le respect est dû aux personnes et aucunement aux idéologies, doctrines, théories ou religions. « Insulter une idée » n’a d’ailleurs pas de sens dans notre langage : une idée ne peut pas être « offensée ». Il faut cependant relever le paradoxe consistant à « enseigner » la liberté d’expression dans une institution où elle n’a pas sa place ! En effet à l’école il n’y a de liberté d’expression, ni pour les élèves, ni pour les enseignants, tous tenus de taire leur propre conception du bien ou du mal, leur orientation sexuelle, leurs croyances religieuses ou politiques.

-       Contrairement à ce qu’on peut lire dans plusieurs discours d’hommage à Samuel Paty, le lien entre la liberté d’expression et l’esprit critique n’est pas du tout simple et évident. On confond souvent l’esprit critique et la liberté de critiquer, or ce n’est pas du tout la même chose. En effet, au sens fort la pensée critique s’applique d’abord à nous-mêmes pour prendre conscience de nos limites - nos préjugés et les biais qui affectent notre jugement -, penser l’impensable, le point aveugle de notre pensée. Or l’inflation sans limite de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux nuit gravement à cette pensée critique, car elle aboutit à la constitution de communautés de croyances immunisées contre le doute, enfermées dans des certitudes bétonnées, et donc allergiques au débat d’idées, fondement de l’idéal démocratique. Ce processus mondial de « libération » de l’expression, dévoyée en pouvoir d’affirmer haut et fort ce que l’on croit et de rejeter aussi fermement ce qui s’y oppose, a pour effet d’inhiber la pensée critique. C’est lui qui a mené à l’attentat horrible contre un professeur, et à travers lui contre l’institution de l’école républicaine.

Liberté d’expression sans pensée critique n’est que ruine de l’âme.