dimanche 24 septembre 2023

Comment ne pas désespérer ?

 

Le « travail de deuil » conçu par une psychiatre états-unienne, Elisabeth Kübler-Ross, décrivait à l’origine les étapes par lesquelles passe une personne qui apprend qu’elle va mourir. Par analogie ce modèle peut nous servir à comprendre notre attitude face au double basculement écologique et anthropologique en cours. Le premier est d’une telle évidence qu’il masque le second non moins grave.

Le néolithique a marqué pour les humains le début d’un long processus : le passage d’une soumission à ce qui ne dépend pas de nous – la nature sauvage pour le dire simplement - à la maîtrise de ce qui dépend de nous – la nature domestiquée. Mais cette maîtrise devenue folle par l’effet de l’avènement du capitalisme techno-industriel consumériste, provoque sous nos yeux le basculement écologique qui se doublera à court terme d’un basculement civilisationnel : la fin de la société de consommation, et des institutions qu’elle rend possibles.

Le déni, la sidération, la colère, le marchandage, la dépression, la résignation, l’acceptation, la reconstruction, sont décrits comme les étapes nécessaires d’un deuil, d’une mort annoncée, et par analogie l’acceptation d’une perte qui semble inéluctable.

En ce qui me concerne, sorti depuis longtemps du déni, je suis entré comme beaucoup dans une phase de marchandage avec mon empreinte carbone - moins de viande, moins d’avion, plus de vélo, plus de bio,… Je soigne ainsi comme beaucoup mon éco-anxiété en me disant que, moi au moins, je vais dans la bonne direction. Mais globalement, l’appel à la responsabilité individuelle est illusoire et démobilisateur face à l’enjeu véritable : la sortie de la société techno-industrielle consumériste. Celle-ci est retardée par nous, consommateurs des pays riches, mais essentiellement par l’action de la classe qui la promeut et la finance, ceux / celles qui possèdent les moyens de production - que Marx appelait la « classe bourgeoise » - les 0,1% qui possèdent personnellement les moyens de productions, mais aussi les détenteurs d’un portefeuille d’actions substantiel, les cadres supérieurs qui gèrent et organisent la production, les idéologues néo-libéraux, les communicants qui organisent la résignation ou le marchandage - la transition énergétique qui signifie au fond tout changer pour que rien ne change. La colère viendra quand une masse critique d’individus aura pris conscience de cet enjeu. Mais le problème avec la colère, c’est qu’on ne sait jamais quels boucs émissaires elle va désigner, quel régime politique monstrueux elle peut engendrer. Comment ne pas désespérer ?

Le désespoir est une des étapes du deuil. Il faut le dépasser en affrontant le plus lucidement possible la réalité, car « La plus haute forme de l’espérance est le désespoir surmonté »*.

* Georges Bernanos – Conférence aux étudiants brésiliens, Rio de Janeiro (22 décembre 1944).