Le « travail de deuil » conçu par une
psychiatre états-unienne, Elisabeth Kübler-Ross, décrivait à l’origine les
étapes par lesquelles passe une personne qui apprend qu’elle va mourir. Par
analogie ce modèle peut nous servir à comprendre notre attitude face au double basculement
écologique et anthropologique en cours. Le premier est d’une telle évidence
qu’il masque le second non moins grave.
Le néolithique a marqué pour les humains le début d’un
long processus : le passage d’une soumission à ce qui ne dépend pas de
nous – la nature sauvage pour le dire simplement - à la maîtrise de ce qui
dépend de nous – la nature domestiquée. Mais cette maîtrise devenue folle par
l’effet de l’avènement du capitalisme techno-industriel consumériste, provoque
sous nos yeux le basculement écologique qui se doublera à court terme d’un basculement
civilisationnel : la fin de la société de consommation, et des
institutions qu’elle rend possibles.
Le déni, la sidération, la colère, le marchandage, la
dépression, la résignation, l’acceptation, la reconstruction, sont décrits
comme les étapes nécessaires d’un deuil, d’une mort annoncée, et par analogie l’acceptation
d’une perte qui semble inéluctable.
En ce qui me concerne, sorti depuis longtemps du déni,
je suis entré comme beaucoup dans une phase de marchandage avec mon empreinte
carbone - moins de viande, moins d’avion, plus de vélo, plus de bio,… Je soigne
ainsi comme beaucoup mon éco-anxiété en me disant que, moi au moins, je vais
dans la bonne direction. Mais globalement, l’appel à la responsabilité
individuelle est illusoire et démobilisateur face à l’enjeu véritable : la
sortie de la société techno-industrielle consumériste. Celle-ci est retardée
par nous, consommateurs des pays riches, mais essentiellement par l’action de
la classe qui la promeut et la finance, ceux / celles qui possèdent
les moyens de production - que Marx appelait la « classe bourgeoise »
- les 0,1% qui possèdent personnellement les moyens de productions, mais aussi les
détenteurs d’un portefeuille d’actions substantiel, les cadres supérieurs qui
gèrent et organisent la production, les idéologues néo-libéraux, les
communicants qui organisent la résignation ou le marchandage - la transition
énergétique qui signifie au fond tout changer pour que rien ne change. La
colère viendra quand une masse critique d’individus aura pris conscience de cet
enjeu. Mais le problème avec la colère, c’est qu’on ne sait jamais quels boucs
émissaires elle va désigner, quel régime politique monstrueux elle peut
engendrer. Comment ne pas désespérer ?
Le désespoir est une des étapes du deuil. Il faut le dépasser en affrontant le plus lucidement possible la réalité, car « La plus haute forme de l’espérance est le désespoir surmonté »*.
* Georges Bernanos – Conférence aux étudiants brésiliens, Rio de Janeiro (22 décembre
1944).