vendredi 21 août 2020

Entre crédulité et scepticisme, comment s'orienter dans la pensée ?


L’épisode Covid restera peut-être dans l’histoire comme l’entrée définitive dans l’ère de la post-vérité : le moment où des « faits alternatifs » ont le même poids que des faits établis, où une vérité garantie par des « experts » s’oppose diamétralement à une autre vérité garantie par d’autres « experts ». Dans ce brouillard où chacun choisit sur le marché des médias sa communauté de croyances, celui qui veut s’orienter entre crédulité et scepticisme doit d’abord éviter deux pièges : (1) les biais cognitifs, des chemins de pensée spontanés, rapides et faciles, tellement empruntés qu’ils sont devenus des ornières, et (2) l’ensorcellement qu’exercent certains mots sur notre pensée.

(1)  Les biais cognitifs se traduisent par quatre sophismes, d’autant plus toxiques qu’on les prend pour des manifestations de l’esprit critique :

-       Tel individu – un « scientifique » - m’inspire confiance, or il dit que X est vrai, donc X est vrai. (sophisme du biais de confiance)

-       Tel autre individu – un autre « scientifique », ou un politique, ou une entreprise - m’inspire de la défiance, or il dit que Y est vrai, donc Y est faux. (sophisme du biais de défiance)

-       Je crois que X est vrai, or un article, une vidéo affirme qu’une étude établit que X est vrai, donc X est vrai (sophisme du biais de confirmation).

-       Je crois que X est vrai, or un article, une vidéo affirme qu’une étude établit que X est faux, donc l’étude est truquée (sophisme du biais de confirmation inversé).

(2)  Trois mots - « science », « expert » et « étude » - possèdent un énorme pouvoir d’ensorcellement de notre esprit tant ils sont confus :

-       La science est une activité collective, ainsi la parole d’un scientifique ne vaut rien en elle-même, c’est la parole de la communauté scientifique qui a valeur de vérité - vérité provisoire et réfutable - en l’absence de preuves contraires. Ainsi celui qui prétend incarner à lui seul la science « sérieuse et honnête » est un imposteur. Par ailleurs, face à un phénomène nouveau, la controverse est un état normal qui relève de la science en train de se faire, mais, mise en scène et dramatisée par les médias, elle se transforme en un affrontement idéologique face auquel chacun est invité à choisir son camp.

-       La parole d’un expert consiste à communiquer l’état des savoirs dans son champ de compétence à un instant T, en l’occurrence concernant le Covid, l’épidémiologie, l’infectiologie, la statistique médicale, la médecine d’urgence et de réanimation. Ainsi la parole des neurologues, cardiologues, cancérologues, ou autre naturopathes est intéressante mais ne vaut pas ici parole d’expert. Par ailleurs quand le savoir est en cours d’élaboration, l’étendue de l’ignorance est si grande que le discours expert doit se faire humble et s’énoncer « dans l’état actuel de nos connaissances, sauf preuve du contraire ».

-       Enfin, une étude scientifique a une valeur limitée car elle a forcément des biais méthodologiques, ses auteurs des intérêts, et ils sont eux-mêmes victimes comme tout être humain du biais de confirmation : je crois que X est vrai – ou faux – donc je vais sélectionner et publier ce qui va dans le sens de ce préjugé, et négliger ce qui semble le contredire. Une étude ne vaut pas vérité en elle-même, encore moins si elle est en prépublication ou si elle est publiée dans une revue scientifique « prédatrice » - qui fait payer les articles par leurs auteurs, sans aucune relecture critique. Ainsi le plus haut niveau de preuve ne s’obtient pas par une étude aussi bien faite soit-elle, mais par des méta-analyses des publications qui respectent les critères méthodologiques standards permettant de minimiser les biais de confirmation, d’intérêts, et les escroqueries pures et simples.

En conclusion, dans cette période où la vérité scientifique est en cours d’élaboration, tout individu raisonnable et rationnel devrait suspendre son jugement, s’en remettre à l’avis provisoire de la majorité des experts, et accepter des mesures raisonnables de précaution pour soi, mais surtout pour les autres.