« Rien ne serait pire qu’un
retour à la normale ! » écrit
Nicolas Mathieu dans un des innombrables articles consacrés à ce sujet. Un
consensus largement partagé : il y aura un avant et un après
Covid19 ! Oui mais la force de l’habitude, le tropisme consumériste, les
enjeux économiques, des forces considérables pousseront vers un retour à la
« normale », une « relance »,
un « effet rebond ». Il y aura donc en présence deux forces colossales
et diamétralement opposées l’une à l’autre : celle du retour à la normale et celle du recours à l’anormal. Mais normal, c’est quoi au juste ?
Pour analyser la normalité, le philosophe Georges Canguilhem
est une ressource incontournable. Dans Le
normal et le pathologique, Canguilhem, par ailleurs médecin, en distingue deux
significations diamétralement opposées, : le normal dans une machine consiste purement et simplement dans la
conformité de son fonctionnement
effectif avec un plan préétabli - la machine est normale si « elle tourne comme prévu » -, le normal, pour le vivant, c'est autre chose : c'est la capacité normative, la capacité à se
donner de nouvelles normes de vie.
Ainsi, ce qui caractérise le vivant, ça n’est
pas la normalité, une allure de vie
provisoire, liée aux exigences d’un milieu, mais la normativité, la capacité à se donner de nouvelles normes en fonction des changements du
milieu.
Quel est le
sens de la maladie et de la guérison de ce point de vue ?
« Le
vivant malade […] a perdu la capacité normative, la capacité d'instituer
d'autres normes dans d'autres conditions » « La gravité de la
maladie se mesure selon l’importance de cette réduction des possibilités
d’adaptation et d’innovation de l’organisme ». Cependant, « aucune
guérison n’est un retour à l’innocence physiologique car il y a irréversibilité
de la normativité biologique […] guérir
c’est se donner de nouvelles normes
de vie, parfois supérieures aux anciennes", mais jamais identiques. »
Alors faisons du déconfinement, une
guérison collective, un appel à la vie : instituons de nouvelles normes, collectivement et
individuellement, refusons le « retour
à la normale », la normalité
des machines, et osons l’inédit, l’impensable, l’impossible, fruit de notre
fonction vitale essentielle : la capacité à changer les normes. Occasion historique inespérée :
transformons le destin en providence ! Osons le recours à l’anormal !