samedi 27 mai 2023

Sommes-nous en "décivilisation"?

 

Les Civilisations sont des formes historiques complexes qui évoluent vers une apogée avant de décliner, disparaître et laisser place à d’autres Civilisations. L’Histoire humaine est scandée par la vie et la disparition de ces entités. La fin d’une Civilisation est multifactorielle, mais on peut relever trois causes principales : un effondrement de ses ressources matérielles, un affaissement des institutions d’autorité qui la structurent et la font perdurer, une guerre d’anéantissement par une Civilisation plus puissante.

Il faut distinguer la Civilisation comme forme historique évolutive et la civilisation* comme processus dynamique universel : l’intégration individuelle et sociale des différentes formes de la civilité. C’est ce sens qui est visé par M. Macron quand il dénonce « un processus de décivilisation » en réaction à la violence de trois faits divers récents : l’attentat contre un maire, le meurtre d’une infirmière et l’accident où trois jeunes policiers ont trouvé la mort. Le premier a été fomenté par un groupe d’extrême droite, le second est l’acte d’un psychotique, le troisième est un accident de la route causé par l’alcool et la drogue. L’extrême hétérogénéité de ces trois évènements dramatiques témoigne immédiatement du flou de l’expression « décivilisation ».

Par ailleurs celle-ci renvoie à deux sources totalement antinomiques : Norbert Elias, un des plus grands sociologues du XXème siècle, et Renaud Camus, un écrivain ouvertement raciste et antisémite. Pour Elias, depuis la Civilisation médiévale, il y a un processus de civilisation* par la pacification progressive des mœurs, l’adoption de normes – politesse, bonnes manières - qui disqualifient peu à peu l’usage de la violence. Ce processus peut s’interrompre, voire régresser, comme Elias l’analyse dans son pays d’origine – cf son dernier ouvrage Les Allemands paru en 1989. Pour le second il y a actuellement en Occident un processus de décivilisation – titre de son ouvrage paru en 2011 - dont la cause serait le « grand remplacement » des populations européennes autochtones par des groupes étrangers, inassimilables, dont la culture et la religion visent l’anéantissement de la Civilisation chrétienne.

            La « décivilisation » évoquée par M. Macron est une formule ambiguë car on ne sait pas a priori à quel concept elle renvoie. Elias est peu connu en dehors des cercles érudits, Camus l’est un peu plus, et surtout ses thèses ont été banalisées et largement diffusées par Eric Zemmour adoubé par Vincent Bolloré et son empire médiatique. Alors je rejoins ceux qui pensent que M. Macron s’adresse en fait aux xénophobes  et aux racistes : ce qui menace notre Civilisation, ce n’est ni l’effondrement écologique ni l’effritement des institutions de service public, c’est le « grand remplacement » avatar fantasmatique des invasions barbares.

vendredi 5 mai 2023

Faut-il craindre le potentiel dictatorial de la Vème République?

 

La réforme de la retraite passée, on entend partout parler de « crise démocratique ». On peut douter de la pertinence de ce diagnostic pour plusieurs raisons : les procédures ont été respectées, on ne peut pas reprocher à un pouvoir régulièrement élu d’agir contre l’opinion majoritaire, au nom d’un programme annoncé, et de ce qu’il considère comme un intérêt supérieur, enfin, comment s’étonner qu’un gouvernement néolibéral applique des mesures à même de « rassurer » les marchés financiers créanciers, sacrifiant au passage les catégories les moins favorisées. Ce constat désabusé ne délégitime aucunement les mouvements de résistance, les manifestations, les grèves, la réponse de « ceux qui ne sont rien » à un gouvernement si peu préoccupé de justice sociale.

La France reste ce qu’elle était déjà avant la crise : une démocratie perfectible, classée seulement 23ème sur 165 pays, selon l’indice de démocratie fondé sur 60 critères, publié tous les ans par le groupe britannique The economist. Cependant une « dérive autoritaire » est indéniable, rendue possible par notre régime de « monarchie élective » qui, tous les cinq ans, donne des pouvoirs exorbitants à un seul homme, réduisant ainsi l’entièreté de la vie politique à l’élection présidentielle. Dans un contexte de déliquescence politique et sociale, la question cruciale est dorénavant la potentialité dictatoriale de la Vème République.

D’après les indices internationaux, la démocratie est en net recul partout dans le monde, et en France les enquêtes révèlent un niveau record de défiance envers les élections et « les élites politiques ». Ce contexte, inédit depuis le début de la Vème république, constitue le terreau idéal pour l’arrivée d’une figure incarnant « le rétablissement de l’ordre », thème éternel de l’arrivée des dictateurs par la voie des urnes. Si dans la foulée cette figure obtenait une majorité au parlement, quels seraient les garde-fous contre une dérive dictatoriale ?

-       Une police surarmée, majoritairement d’extrême droite ?

-       Un Parlement réduit au rôle de chambre d’enregistrement ?

-       Un conseil constitutionnel dont la pusillanimité est dorénavant manifeste ?

-       Des médias mainstream aux mains d’« oligarques » à la française, et un service public de l’audiovisuel privé du seul moyen de son indépendance, la redevance ?

Qui pourrait garantir que ce scénario catastrophe est impossible ? Nous regretterions amèrement de ne pas avoir agi avant, pour promouvoir une réforme constitutionnelle visant à désamorcer le potentiel dictatorial de notre république. Nous avons quatre ans...