jeudi 19 mars 2015

Où en est la lutte des classes... d'âges ?



L’affaire des Enfoirés nous rappelle une vérité de base : il y a toujours une tension dans le passage de témoin entre les générations, ceux qui sont en place défendant naturellement l’ordre établi contre les jeunes, facteurs de changement, et donc de déstabilisation. Ainsi chaque société se caractérise par un certain mode de règlement de la transition générationnelle. Aujourd’hui c’est plus pareil, ça change, ça change… Aujourd’hui chacun est sommé de « rester jeune » jusqu’à ce qu’Alzheimer ou la mort s’en suivent, tant la jeunesse, devenue synonyme de santé physique et mentale, recouvre quasiment toute la vie adulte. Pratique : plus de vieux, donc plus de conflit de générations !
Mais ce jeunisme affiché est le masque botoxé d’un séniorisme réel ! Les « seniors », outre les positions de pouvoir, trustent les revenus du patrimoine et du travail, les CDI, les logements et les dernières retraites à taux plein, alors que les djeunes sont assignés à résidence chez Papa et Maman, vivotant de stages en petits boulots, CDD et allocations. Ce constat prend l’allure d’un désastre si on y ajoute le fait que les baby-boomers ont siphonné les ressources naturelles, les énergies fossiles, et détruit la nature par leur mode de vie. Ils ont même épuisé les ressources idéologiques qui servaient de support imaginaire au changement. Plus de …ismes, plus de lendemains qui chantent, seul subsiste un éternel présent saturé de mesquines données comptables sur la crise ou la croissance. Les jeunes révoltés de 68 voulaient déboulonner l’ordre ancien, mais ils le faisaient sous le double signe du plaisir et de l’opulence. Vaneigem avait saisi dans une formule parfaite l’esprit du temps : «  Nous ne voulons pas d’un monde où la garantie de ne pas mourir de faim s’échange contre le risque de mourir d’ennui. », et Jouhandeau prophétisait justement « Dans vingt ans vous serez tous notaires ». Les jeunes révoltés d’aujourd’hui n’ont ni le tremplin de la confiance en l’avenir ni le ressort de l’ennui, tant leur quotidien est joyeusement rempli de fun, video-games et autres you-tuberies. Ceux qui auraient malgré tout quelques velléités de révolte, n’ont guère le choix qu’entre devenir zadistes, empêcher le monde de se défaire, ou djihadistes, faire un monde où tout est empêché. Quant à ceux qui rechignent à l’idée de se faire matraquer par des CRS à Sivens, ou se faire zigouiller en Syrie, ils n’ont plus guère qu’une façon de dire « merde » au monde des seniors sur-vitaminés : voter FN ! Le comble, si l’on considère que le FN représentait jusqu’à une époque récente ce que la société avait de plus moisi : un parti de vieux, nostalgiques de Pétain, de la messe en latin ou de l’Algérie française.
La jeunesse et la révolution c’était mieux avant ! Parole de vieux con.

mercredi 25 février 2015

Qui est juif ?



Être juif ou ne pas l’être ? Question d’actualité, de vie ou de mort parfois, question de culture, de religion, de nationalité, de race… ?
Je n’ai pas été élevé dans la culture juive, ni dans la foi judaïque, je ne suis pas citoyen d’Israël, pourtant des nazis ou des islamistes n’hésiteraient pas une seconde sur l’objectivité indubitable de ma judéité : ma mère est juive, et mon père aussi en plus ! Bang, une balle dans la nuque, ou un égorgement au couteau de boucher !
« Juif » serait-ce donc une « race » ? L’idée seule donne la nausée.
Disons alors qu’être juif c’est s’inscrire dans la généalogie d’un peuple. Autrement dit, mes ancêtres étant juifs, je suis juif. Mais ce trait distinctif dit-il quelque chose sur ma personnalité, mes goûts, mes orientations politiques ou philosophiques ? Je prétends que non. Alors puis-je abandonner aux autres, et particulièrement aux méchants, le pouvoir de me nommer, me qualifier, me définir ? Assurément non ! L’alternative se formulerait  alors ainsi :
-       Soit je nie être juif, refusant de me laisser enfermer dans une identité instrumentalisée par d’autres ;
-       Soit j’assume cette identification par solidarité avec ceux qu’on assassine encore et toujours ;
-       Soit j’essaie de lui donner un sens positif face à la pure négativité des antisémites.
La première option s’apparente à une désertion face à l’ennemi. La seconde est impersonnelle : nous sommes tous juifs… grâce à Merah, Kouachi, Coulibaly et autres danois. La troisième renvoie à l’éternelle question : que signifie le nom « juif » ?
Le nom d’une continuation inlassable de l’étude pharisienne du texte, et donc du questionnement intellectuel.
Le nom de celui qui prend, partout où il est, le pouls de l’humanité de ses compatriotes ;
Le nom du survivant qui vit malgré la disparition de tant des siens au läger ;
Le nom qui exige de celui qui le porte, la solidarité avec tous les déracinés de la terre.
Alors oui, je suis juif !

jeudi 12 février 2015

Y a-t-il un "problème" de l'Islam ?



Quand l’imbécile montre la lune, le sage peut à bon droit regarder le doigt. En l’occurrence, concernant le « problème » de l'Islam, je m’interroge sur l’omniprésence du mot « problème » dans le débat public. Je prétends que l’escamotage du couple question / réponse au profit du couple problème / solution, est loin d’être un point trivial.
- L'expression « problème de l'Islam » est performative, c'est-à-dire qu'elle fait exister ce qu'elle nomme... par le seul fait de le nommer. Ainsi elle a une force rhétorique considérable, disqualifiant immédiatement ceux qui oseraient contester l'existence du dit « problème ».
- Cette expression a en outre un effet mobilisateur autrement plus puissant que celui d’une question, quelle qu’en soit la formulation, car elle combine indissociablement une dimension factuelle (« Il y a un problème ») avec une dimension émotionnelle (« J’ai un problème ») qui lui confère une énergie autrement plus grande qu’une question qui suppose toujours distance, analyse, réflexion, débat…
- L’expression « le problème des / du… » (au choix : des immigrés, des étrangers, des jeunes des quartiers,…) exerce une force attractive sur l’esprit car elle englobe un phénomène et sa cause. Ainsi parler du « problème de l’Islam » c’est dire que les musulmans « posent problème »… en tant qu’ils sont musulmans justement.
- Par ailleurs la notion de « problème » suppose qu’il y a des « solutions », et parmi elles, certaines provisoires, d’autres définitives - voire « finales ». Ces dernières sont les seules à « régler » le problème, les premières n’étant au mieux que des pis-aller. Parler du « problème des… », c’est signifier implicitement ce qui pourrait valoir comme solution définitive.
- Enfin si la société est le lieu des problèmes, l’Etat est celui des solutions ; le problème est donc l’affaire des intellectuels, des experts, alors que la question vaut pour tous les citoyens. Le problème est technocratique, la question est démocratique.

Alors le véritable « problème » de l’Islam consiste à savoir à quelles questions il renvoie. Parmi toutes les questions plus ou moins pertinentes qui viennent à l’esprit, il en est deux qui me paraissent mériter qu’on s’y arrête :
-       Comment palier au vide de sens du « commun », face au trop plein de sens du « communautaire » ?
-       Peut-on oser un rapprochement entre l’usage du nom « musulman » aujourd’hui, et le nom « juif » hier ?

jeudi 29 janvier 2015

Pourquoi tant de phobies ?



L’inflation du lexique de la peur dans l’espace public engendre énormément de confusions. Il exige donc une analyse dont voici une esquisse sommaire.
Ce lexique se partage selon deux modes : la phobie et la paranoïa.
Le premier mode se décline en islamophobie et en homophobie, avec un glissement de sens : on comprend généralement ces termes comme marqueurs d'une aversion spontanée alors que la phobie, issue du registre de la psychopathologie, est avant tout une peur intense et irraisonnée, dont l'objet est un substitut qui masque l'objet véritable causant l'effroi.
Le second mode se manifeste dans le complotisme, un délire de persécution caractéristique du style paranoïde. Il fait son miel des faits d'actualité et surfe sur le climat de défiance vis à vis de toutes les institutions, pour construire un délire très construit et surtout immunisé contre toute réfutation possible. Il y a trois types de complot selon leurs instigateurs : le système, les élites, ou certaines minorités - juifs ou francs-maçons en général. Ainsi l’antisémitisme doit être distingué de l’islamophobie, relevant du registre de la paranoïa plutôt que de celui de la phobie,
L’inanité d’une phobie irraisonnée s’oppose au discours de la paranoïa complotiste, au contraire hyper-rationnel… à ceci près qu’il fait fi de deux principes élémentaires de la pensée rationnelle : le *rasoir d'Ockham et le *rasoir d'Hanlon. Enfin, la phobie et la paranoïa engendrent à leur tour une contre-phobie et une contre-paranoïa, qui s’avérent tout aussi délétères : phobie de toute critique de l’Islam, de la politique d’Israël ou des excès des revendications identitaires, phobie de toute évocation des comités occultes, de l’activité provocatrice des services secrets ou de la collusion entre certains systèmes de pouvoir et le terrorisme djihadiste. Dans cette extrême confusion des termes, il faut donc bien distinguer :
-       la peur et la haine ; une panique irrationnelle et une méfiance légitime. Admettons par exemple que craindre l'Islam, comme toute religion prosélyte ayant une branche intégriste très active, est un sentiment rationnel, alors que ressentir de l'effroi face à tout ce qui évoque l'Islam - les foulards ou les barbes par exemple - est bien de l'ordre d'un symptôme phobique.
-       le complotisme pathologique et l’exercice de l’esprit critique, une saine méfiance vis-à-vis du pouvoir, l’examen rigoureux des discours officiels, ainsi que l’enquête nécessaire sur l’activité masquée des comités occultes où s’exerce un pouvoir sans contrôle.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » disait Camus.

jeudi 15 janvier 2015

La nocuité cachée des les..., des les...



Une nocuité qui ne se dissimule plus : celle de tous ceux qui, à l’instar du sinistre clown Dieudonné, brandissent l’étendard de la liberté d'expression, dont Charlie est désormais le symbole tragique, pour afficher leur solidarité avec le projet ignoble d'exécuter froidement des personnes au seul et unique motif de leur appartenance à une catégorie générale dont le sténogramme est "juif", traduction : "bon à abattre"... Prendre ce coming out sordide pour un trait d'humour noir relevant de la liberté d’expression et analogue aux caricatures de Mahomet, relève au mieux d’une escroquerie intellectuelle, au pire d'une apologie de la haine raciale.... 
Mais il y a une nocuité cachée qu'il va falloir débusquer dorénavant partout où elle se manifeste, celle des "les" : les juifs, les musulmans, les immigrés, les homosexuels,... A chaque fois que nous utilisons ces formules, nous succombons au vertige de la généralisation, et nous proférons alors des absurdités du type : "les C sont P", P comme une propriété générale de la catégorie en question. L’essentialisme vulgaire qui consiste ainsi à simplifier la diversité humaine et à enfermer les individus dans une essence prédéterminée, est au fondement de tous les massacres, pogromes et génocides. Prenons soin de nos mots, le reste suivra de lui-même.