L’inflation du lexique de la peur dans l’espace public
engendre énormément de confusions. Il exige donc une analyse dont voici une esquisse
sommaire.
Ce lexique se partage selon deux modes : la phobie et
la paranoïa.
Le premier mode se décline en islamophobie et en homophobie,
avec un glissement de sens : on comprend généralement ces termes comme
marqueurs d'une aversion spontanée alors que la phobie, issue du registre de la
psychopathologie, est avant tout une peur intense et irraisonnée, dont l'objet est
un substitut qui masque l'objet véritable causant l'effroi.
Le second mode se manifeste dans le complotisme, un
délire de persécution caractéristique du style paranoïde. Il fait son miel des
faits d'actualité et surfe sur le climat de défiance vis à vis de toutes les
institutions, pour construire un délire très construit et surtout immunisé contre
toute réfutation possible. Il y a trois types de complot selon leurs instigateurs
: le système, les élites, ou certaines minorités - juifs ou francs-maçons en
général. Ainsi l’antisémitisme doit être distingué de l’islamophobie, relevant
du registre de la paranoïa plutôt que de celui de la phobie,
L’inanité d’une phobie irraisonnée s’oppose au
discours de la paranoïa complotiste, au contraire hyper-rationnel… à ceci près
qu’il fait fi de deux principes élémentaires de la pensée rationnelle : le *rasoir
d'Ockham et le *rasoir d'Hanlon. Enfin, la phobie et la paranoïa engendrent à
leur tour une contre-phobie et une contre-paranoïa, qui s’avérent tout aussi
délétères : phobie de toute critique de l’Islam, de la politique d’Israël
ou des excès des revendications identitaires, phobie de toute évocation des
comités occultes, de l’activité provocatrice des services secrets ou de la
collusion entre certains systèmes de pouvoir et le terrorisme djihadiste. Dans
cette extrême confusion des termes, il faut donc bien distinguer :
-
la peur et
la haine ; une panique irrationnelle et une méfiance légitime. Admettons
par exemple que craindre l'Islam, comme toute religion prosélyte ayant une
branche intégriste très active, est un sentiment rationnel, alors que ressentir
de l'effroi face à tout ce qui évoque l'Islam - les foulards ou les barbes par
exemple - est bien de l'ordre d'un symptôme phobique.
-
le
complotisme pathologique et l’exercice de l’esprit critique, une saine méfiance
vis-à-vis du pouvoir, l’examen rigoureux des discours officiels, ainsi que l’enquête
nécessaire sur l’activité masquée des comités occultes où s’exerce un pouvoir sans
contrôle.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde »
disait Camus.
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