dimanche 23 mars 2025

Choisit-on ses ami(e)s?

 

L’amitié fait partie de ses choses dont on sait parfaitement ce qu’elles sont … tant qu’on n’essaie pas de les définir. « Parce que c’était lui, parce que c’était moi » ? Certes mais par gros temps, quand le bateau – comme dirait Georges - tangue, on peut éprouver le besoin de mettre en mots un sentiment qui, jusque là, allait de soi. Cet exercice n’arrive pas ici comme un sujet de philo, mais à partir de l’expérience douloureuse d’un chagrin d’amitié, que vous avez certainement, comme moi, déjà éprouvé. On ne choisit pas sa famille, on choisit ses ami(e)s. Est-ce si évident ?

On tombe en amitié comme on tombe amoureux, l’amitié nous choisit bien plutôt qu’on ne la choisit. On réalise ainsi un jour que telle personne est notre ami(e), sans qu’on l’ait vraiment décidé. Je fais ici la distinction entre les copains et les amis. Avec les premiers un simple contrat hédonique suffit : on se voit de temps en temps pour passer un bon moment, ni plus, ni moins. Avec les seconds, une alliance s’est construite au fil du temps, des expériences vécues ensemble. Cette Alliance est tissée de valeurs de principes dont on ne prend vraiment conscience que lorsque le bateau menace de chavirer. On réalise alors que ce qu’on choisit en fait ce n’est pas l’amitié mais ce qu’on en fait : la cultiver, la préserver en dépit des épreuves qui la menacent, ou y mettre fin. C’est dans ces moments critiques que se fait le choix : élection ou éviction ?

Une rupture d’amitié, comme une rupture amoureuse, marque une bifurcation existentielle. Pour lui donner un sens, il faut comprendre quel principe fondamental de l’Alliance a été violé. C’est là que les mots interviennent pour nommer ce qui allait de soi - enfin ce qu’on pensait aller de soi. Quelles sont les valeurs qui fondent l’amitié ? La liste en est indéterminée mais j’en choisis quatre qui s’emboîtent comme des matriochkas : l’empathie, la sincérité, la bienveillance et l’engagement

-       L’empathie c’est la sensibilité réciproque à ce qui peut blesser l’ami(e), ainsi les mots, les idées, les prises de position qui peuvent l’affecter.

-       La sincérité c’est la transparence réciproque sur les sentiments, les émotions mais aussi les opinions et croyances... au risque du désaccord. Rien de ce que dit ou pense l’ami(e) ne nous est indifférent. Et si ce qu’il/elle dit ou écrit nous intéresse, nous émeut, nous choque, nous trouble, on le lui dit.

-       La bienveillance c’est ici quand la contradiction et la critique excluent tout soupçon de malveillance ou de manipulation. Avec l'ami(e) on pèse ses mots, on évite autant que possible de le/la choquer ou le/la troubler.

-       L’engagement c’est agir quand le lien est distendu ou fragilisé, pour rétablir l'équilibre, réparer, éviter la rupture. Le silence est un poison, il faut répondre aux questions d'autant plus lorsqu'elles expriment une inquiétude, une incompréhension, une marque d'intérêt.

Quand un ou deux de ces principes sont violés la rupture est possible, il faut choisir : Election ou éviction ? Quand les quatre principes sont violés, la rupture est actée. C'est ce qui m'est arrivé : un licenciement sans motif exprimé, sans préavis ni entretien préalable. Si seulement il y avait des Prud'hommes en amitié !

samedi 1 mars 2025

Êtes-vous plutôt Blanche ou plutôt Sophia ?

 

Pendant que le monde bascule dans le chaos, l’explosion de la gauche française, par humoristes interposées, se poursuit dans un combat haineux entre « antisémites » et « islamophobes ». A gauche - enfin la gauche de gauche - Blanche Gardin (B.G.), engagée à fond contre le génocide (…des milliers de civils de Gaza sacrifiés par le Hamas  au nom du Djihad). A droite - enfin tout ce qui, à gauche, n’est pas la gauche de gauche - Sophia Aram (S.A.) qui dénonce inlassablement le Hamas et ceux qui le soutiennent, en France et ailleurs. De courageux anonymes les harcèlent toutes deux sur les réseaux (anti)-sociaux, instrumentalisant contre l’une l’antisémitisme, contre l’autre l’islamophobie. Le match est nul, mais y a-t-il match nul ?

            La réponse de B. G., il y a 9 mois, a pris la forme d’un sketch, parodie de groupe de parole, genre antisémites anonymes,…

https://youtube.com/watch?v=5riRhsKYH0Q&si=SXB86HV22Gf6amnJ

…qui essaient de se soigner en prenant conscience de leur « addiction ». La pauvre Blanche, aidée par l’animateur Aymeric Lompret, réalise que son appel au cessez-le-feu (3’20) était un acte antisémite car : « Qui met le feu ? LES israéliens, or Les israéliens, ce sont des juifs, donc ce sont LES juifs qui mettent le feu ». Appeler au cessez-le-feu est donc « anti-juif ». Le raisonnement est volontairement tordu, mais redoutable car, derrière le masque de l’ironie, il valide en fait l’amalgame Netanyahou = LES israéliens = LES juifs, seuls et uniques responsables de la guerre. Pas un mot dans le sketch, ni ailleurs dans les interviews de B.G., sur le Hamas, sur le 7 octobre 2023, ou sur les otages. Réponse calamiteuse par l’humour.

            Réponse de S.A. en mai, lors de la nuit des Césars : « Comment être solidaires des milliers de civils morts à Gaza sans être aussi solidaires des victimes israéliennes ? Comment exiger d'Israël un cessez-le-feu sans exiger la libération des otages israéliens ? Comment réclamer le départ de Netanyahou sans réclamer celui du Hamas ?». Réponse sans humour, mais digne.

            L’autoproclamée gauche de gauche déteste la complexité ou la nuance, elle ne connaît qu’un critère : le couple dominants / dominés. La figure de la victime persécutée n’est plus le Juif, mais le musulman, et sa quintessence : le Palestinien, vocable qui amalgame les civils et les islamo-fascistes du Hamas. La figure du dominant n’est plus le Blanc, mais le Juif, et sa quintessence : le Sioniste, vocable dont le sens fluctue entre eux pôles : simple soutien à l’existence d’Israël, ou participation à une entité maléfique, moteur de toutes les injustices, qui contrôle les médias, la finance, la politique des grandes puissances, est à l’origine des guerres au profit des juifs en général.

            Contrairement à ce qu’affirme ironiquement B.G., on peut, avoir en même temps un herpès labial et génital, être à la fois arabophobe et judéophobe, cette double pathologie caractérise l’extrême droite. Ainsi, pendant que le monde bascule, la gauche de gauche saborde ce qui reste de la gauche au profit de l’extrême droite qui arrive.

A vous lire,

Claude

 

P.S. : Voici un lien pour revoir le sketch de Pierre Desproges « On me dit que des juifs se sont glissés dans la salle. ».

https://www.youtube.com/watch?v=EPKsquJ0gFM

Vous chercherez aussi si vous voulez les premiers sketchs antisémites de Dieudonné. La comparaison est éclairante.

samedi 8 février 2025

Le retour des Empires, une tragédie ou une farce ?

 

« L’histoire se répète d’abord comme une tragédie, puis comme une farce » disait Marx. La bouffonnerie trumpienne serait-elle alors une farce… tragique ?

Nous avons vécu depuis 80 ans dans l’illusion d’un mouvement général, universel, naturel, vers la démocratie. Le réveil est brutal, les Empires sont de retour, et leur ennemi est clairement désigné : la démocratie libérale, ses valeurs, ses normes, son régime de droits sociaux, ses impôts, sa prétention à réguler l’économie. Les Etats-Unis représentaient symboliquement le rempart ultime des démocraties contre les Empires, russe et chinois. Or l’élection de Donald Trump signe la fin de cette illusion. Le « retour de l’âge d’or » américain, sous le sigle MAGA, marque en fait le retour à l’ère des grands Empires qui se partagent le monde, et qui ne connaissent, hors d’eux-mêmes, que des vassaux soumis ou des ennemis à abattre. Ce retour se fait selon trois modalités : le Dialogue mélien, les Compagnies des Indes et les Zones extraterritoriales.

-       Le Dialogue mélien décrit par Thucydide, pendant la guerre du Péloponnèsel, eut lieu entre Athènes et la petite île de Mélos, indépendante et neutre. Accepter que Melos ne soit pas soumise à l’Empire athénien était inconcevable, Mélos fut décimé, ses habitants massacrés, selon le principe suivant : La justice ne s’applique pas entre forces inégales. C’est ce principe qui semble au cœur des nouvelles politiques impériales en Ukraine, au Tibet, à Gaza, au Panama, etc…

-       Les Compagnies des Indes furent des extensions des Empires européens, échappant à toute juridiction pour alimenter leurs économies et leur puissance. Ces Compagnies battaient monnaie, avaient leurs propres cours de justice, leur armée privée pour soumettre et réduire en esclavage les colonies. Ce modèle inspire à l’évidence les Entreprises-Etats des géants de la tech.

-       Les Zones enfin sont les effets visibles de la guerre souterraine que mène le capitalisme à l’ère impériale contre la démocratie : paradis fiscaux, ports francs, technopoles, lotissements privés,… la perforation des tissus sociaux par des zones d’extra-territorialité, émancipées des pesanteurs des normes, du droit du travail, des impôts. A l’ère impériale, il faut protéger le capitalisme contre les masses démocratiques ou le droit international.

 

Nous vivons peut-être un basculement historique dont nos vieilles démocraties ne semblent pas avoir pris la mesure. Où sont les leaders politiques à la fois lucides, courageux, et capables d’unir les forces démocratiques contre le retour des Empires ? Et nous, citoyens européens, adhérons-nous encore à la démocratie libérale ? Face à l’Ubris débridée du duo Trump-Musk, qui est aussi celle de Poutine et de Xi Jinping, l’Europe, la France tout particulièrement, illustre bien ces vers prémonitoires du poète irlandais Yeats au début du terrible XXème siècle :

« Les meilleurs manquent de toute conviction, tandis que les pires sont animés d’une intense passion ».

vendredi 17 janvier 2025

Derrière Charlie et Facebook, y a-t-il un enjeu civilisationnel ?

 

La liberté d’expression est légitimement considérée comme une valeur essentielle, mais la concomitance de deux faits d’actualité, l’anniversaire de l’attentat contre Charlie et l’abandon de toute régulation sur Facebook, rappelle son ambivalence : cette liberté peut être vecteur d’émancipation ou de domination. On le sait depuis longtemps, mais la puissance technologique déchaînée fait peut-être aujourd’hui de cette opposition un enjeu civilisationnel.

La liberté d’expression qu’incarne Charlie relève de la liberté de la presse, un pilier essentiel de toute démocratie où les opinions dans leur grande diversité doivent pouvoir être publiées par des médias indépendants où travaillent des journalistes qui assument leur travail. Charlie c’est le rire contre les fanatismes… au risque de blesser, mais les cibles de Charlie sont les religions et les idéologies qui ne peuvent en aucun cas  être « offensées ».

La liberté d’expression sur Facebook relève d’une toute autre catégorie. Comme X, Tik-tok, Instagram, etc… les réseaux dits « sociaux » sont essentiellement l’expression publique d’opinions individuelles privées. Où est le problème ? Les algorithmes attribuent un poids relatif aux opinions exprimées, or on sait que la haine, la désinformation ou les théories extravagantes attirent infiniment plus que la mesure, les faits établis ou les théories scientifiques standards. Ainsi, des spirales algorithmiques opaques amplifient ces biais générant des communautés de croyances hermétiques à la critique, qui divisent la société en groupes hostiles refusant l’idée d’un l’intérêt commun. Les démocraties tentent de mettre en place des normes de modération, mais l’abandon de toute régulation par Mark Zuckerberg, après X, inaugure une ère de liberté d’expression déchaînée.

Les réseaux devenant ainsi de fait « antisociaux » sont les instruments de pouvoir d’une poignée de méga-entreprises mondiales, qui visent dorénavant explicitement à saper la démocratie libérale et ses normes régulatrices, et rendre obsolètes les médias « classiques » d’information, voire-même la profession de journaliste.

Il y a alors un véritable enjeu civilisationnel dans l’opposition frontale entre les démocraties libérales et les Seigneurs de la Tec. Qui gagnera ? La puissance de la norme ou la norme de la puissance ?

samedi 4 janvier 2025

Que cache le catéchisme techno-religieux des I.A. ?

« Il est temps d’adopter l’intelligence artificielle […] dans nos vies privées et professionnelles » (Aujourd’hui en France, 2 janvier 2025).

Parfois apocalyptique, parfois merveilleux, les discours-marketing qui nous vendent le monde des IA nous fascinent. Promesse enchantée : des esclaves robots omniprésents obéissant à nos requêtes vocales, les « prompts ». Une automatisation généralisée rendant à terme inutile la plupart des emplois. Une abondance matérielle à un coût si dérisoire qu'un modeste revenu de base universel suffira largement. Cauchemar : Un contrôle social hyper-efficace piloté par une IA Générale connectée à toutes les données disponibles et à tous les leviers d'action accessibles, décidant de façon autonome … "pour le bien de l'humanité ". Cette quasi-religion nous promet le paradis ou l’enfer, au choix. Son prophète, Elon Musk, est entouré d’apôtres qui ont pour nom Jeff (Bezos), Mark (Zuckerberg), Peter (Thiel), Sam (Altman),…

La réalité est plus terre à terre. En fait d’intelligence, les algorithmes, gavés au pillage de données personnelles et publiques – les data -, ne sont que des « perroquets stochastiques » ( de simples calculateurs statistiques). En fait d’abondance, celle des techno-oligarques dont la richesse est phénoménale (entre 2020 et 2023, les 1% les plus riches ont capté 63% des richesses mondiales produites – source rapport Oxfam international, janvier 2023), des miettes d’abondances pour les 99% restant. En fait d’apôtres, des hommes-enfants se rêvant en super-héros - le modèle revendiqué ouvertement par Elon Musk est le milliardaire Tony Stark, alias Iron Man.

Le discours-marketing évangélique de l’IA nous somme de nous adapter au plus vite à un système de domination techno-capitaliste porté par ces techno-oligarques anglo-saxons, mâles alpha blancs virilistes. Sa promesse de Salut est une dystopie, le transhumanisme, dont les deux piliers sont l’Espace et l’Immortalité ! Nourrie de science-fiction et de philosophie utilitariste, ce catéchisme promet le bonheur de l'humanité… à long terme. Qu'importe le dérèglement climatique puisque notre avenir est dans l'espace. Qu'importe la misère actuelle et la surexploitation puisque l'avenir - lointain - sera une corne d'abondance illimitée. Qu’importe la démocratie, les États, les sociétés civiles, désormais obsolètes puisque quelques méga sociétés privées planétaires pourvoiront à tous nos besoins, une vie de distraction sous casque 3D, et sous perfusion à haute dose de publicités hyper-ciblées : le paradis consumériste enfin réalisé.

En attendant cette fin des temps, les techno-oligarques accumulent des fortunes équivalant à des PIB nationaux – des analystes financiers prédisent qu’Elon Musk sera d’ici 2027 le premier billionnaire, un billion = 1000 milliards. Ils contrôlent l’espace, les réseaux d'information et de communication. Ils achètent des îles, se construisent des bunkers inviolables. Ils soutiennent ouvertement les ennemis de la démocratie et s’emploient activement à promouvoir un mercantilisme privé intégral.

Il est temps d’exclure l’intelligence artificielle de nos vies privées et professionnelles !