L’amitié fait partie de ses choses dont on sait
parfaitement ce qu’elles sont … tant qu’on n’essaie pas de les définir. « Parce que c’était lui, parce que c’était
moi » ? Certes mais par
gros temps, quand le bateau – comme
dirait Georges - tangue, on peut
éprouver le besoin de mettre en mots un sentiment qui, jusque là, allait de
soi. Cet exercice n’arrive pas ici comme un sujet de philo, mais à partir de
l’expérience douloureuse d’un chagrin d’amitié, que vous avez certainement,
comme moi, déjà éprouvé. On ne choisit
pas sa famille, on choisit ses ami(e)s. Est-ce si évident ?
On tombe en amitié comme on tombe amoureux, l’amitié
nous choisit bien plutôt qu’on ne la choisit. On réalise ainsi un jour que
telle personne est notre ami(e), sans qu’on l’ait vraiment décidé. Je fais ici
la distinction entre les copains et les amis. Avec les premiers un simple
contrat hédonique suffit : on se voit de temps en temps pour passer un bon
moment, ni plus, ni moins. Avec les seconds, une alliance s’est construite au
fil du temps, des expériences vécues ensemble. Cette Alliance est tissée de
valeurs de principes dont on ne prend vraiment conscience que lorsque le bateau menace de chavirer. On réalise
alors que ce qu’on choisit en fait ce n’est pas l’amitié mais ce qu’on en fait :
la cultiver, la préserver en dépit des épreuves qui la menacent, ou y mettre
fin. C’est dans ces moments critiques que se fait le choix : élection ou
éviction ?
Une rupture d’amitié, comme une rupture amoureuse,
marque une bifurcation existentielle. Pour lui donner un sens, il faut
comprendre quel principe fondamental de l’Alliance a été violé. C’est là que
les mots interviennent pour nommer ce qui allait de soi - enfin ce qu’on
pensait aller de soi. Quelles sont les valeurs qui fondent l’amitié ? La
liste en est indéterminée mais j’en choisis quatre qui s’emboîtent comme des
matriochkas : l’empathie, la sincérité, la bienveillance et l’engagement
-
L’empathie c’est la sensibilité réciproque à ce qui peut blesser l’ami(e),
ainsi les mots, les idées, les prises de position qui peuvent l’affecter.
-
La sincérité c’est la transparence réciproque sur les sentiments, les
émotions mais aussi les opinions et croyances... au risque du désaccord. Rien de ce que dit ou pense l’ami(e) ne nous est indifférent. Et si ce
qu’il/elle dit ou écrit nous intéresse, nous émeut, nous choque, nous trouble,
on le lui dit.
-
La bienveillance c’est ici quand la contradiction et la critique excluent tout soupçon
de malveillance ou de manipulation. Avec l'ami(e) on pèse ses mots, on évite
autant que possible de le/la choquer ou le/la troubler.
-
L’engagement c’est agir quand le lien
est distendu ou fragilisé, pour rétablir l'équilibre, réparer, éviter la rupture.
Le silence est un poison, il faut répondre aux questions d'autant plus
lorsqu'elles expriment une inquiétude, une incompréhension, une marque d'intérêt.
Quand un ou deux de ces principes sont violés la rupture est possible, il
faut choisir : Election ou éviction ? Quand les quatre principes sont
violés, la rupture est actée. C'est ce qui m'est arrivé : un licenciement sans
motif exprimé, sans préavis ni entretien préalable. Si seulement il y avait des
Prud'hommes en amitié !