mercredi 15 février 2023

Quelles légitimités pour réformer ?

 Conversation 185

En matière de loi, il y a toujours une tension entre deux légitimités : la conformité au droit et la conformité à la justice. La première, institutionnelle, se réclame de la raison, de l’intérêt général ; la seconde, morale, naît d’un sentiment d’injustice face au sacrifice du cas particulier. La figure d’Antigone montre d’une part que cette tension est ancienne, d’autre part que son exacerbation menace l’ordre dans la Cité. Par ailleurs, la loi, sacrifiant le particulier au général, comporte toujours une part d’injustice, ainsi le conflit des légitimités ne se dissout jamais complètement.

En régime autoritaire cette tension est masquée par un pur rapport de force. En régime démocratique, elle se résout par le débat, sans disparaître pour autant. Il faut donc, à défaut de justice, faire avec le moins d’injustice possible, l’équité que le philosophe John Rawls conçoit ainsi : une inégalité n’est juste qu’à la condition expresse de bénéficier – ou de ne pas nuire – aux plus défavorisés.

Ainsi, en démocratie, une réforme sera considérée comme juste par la conciliation des deux légitimités : 1) celle des institutions, 2) celle de la justice comme équité. Qu’en est-il pour la réforme des retraites ?

1) Le président Macron a certes la légitimité des urnes cependant, il l’a lui-même reconnu au lendemain de sa victoire, il n’a pas été élu sur son programme mais essentiellement pour empêcher le front national de prendre le pouvoir. La légitimité institutionnelle est donc faible.

2) Le poids de la réforme proposée – les années supplémentaires de cotisation sensées équilibrer les comptes - sera porté pour l’essentiel par ceux et celles qui commencent à travailler tôt, qui ont les charges les plus lourdes, les revenus les moins élevés, l’espérance de vie sans incapacité la plus courte. La réforme proposée est donc en opposition avec la justice comme équité.

Ce conflit ouvert entre les deux légitimités arrive à un moment historique où la défiance envers les institutions est à son paroxysme, il déstabilise une société fragmentée, éclatée en groupes d’intérêts. Il aggrave un divorce entre le peuple et les élites, instrumentalisé par les populismes, notamment le Front national, dont on ne voit plus très bien ce qui pourrait l’empêcher de prendre le pouvoir en 2027.

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