La réforme annoncée par
Mme Borne a suscité d’emblée une opposition générale. Outre le rejet d’une
rationalité strictement économique, celle-ci s’explique par l’occultation d’autres
enjeux au moins aussi essentiels. Parmi eux, deux sujets tabous : la « valeur-travail »,
le poids des retraités sur les actifs.
La « valeur
travail », unanimement prônée à droite et à gauche, est le noyau moral de
la réforme : on vit plus longtemps, on doit donc travailler plus longtemps,
pour contribuer à la richesse nationale et permettre à l’Etat social de redistribuer.
Mais cette « valeur », à peine atténuée par les carrières longues et
la pénibilité de certaines tâches bien circonscrites, masque le volume des
« Bullshit jobs ». David Graeber, anthropologue et économiste, définit
ainsi ce concept : « les
emplois rémunérés si totalement inutiles, superflus ou néfastes, que même les
salariés ne parviennent pas à justifier leur existence. » Autrement
dits, des « boulots à la con »,
selon le jugement de ceux-là-mêmes qui les font. Des études menées dans
différents pays évaluent ces boulots à la
con antre 35 et 45% des emplois. David Graeber propose une autre
catégorie : les « boulots de
merde », socialement utiles mais tellement sous-payés et précarisés
que les salariés qui les assument se retrouvent au bout du rouleau bien avant l’âge
de la retraite. Ces boulots à la cons
et boulots de merde forment la masse
de ceux qui ont commencé à travailler tôt, qui travailleront un ou deux ans de
plus, ceux dont l’espérance de vie en bonne santé est inférieure à celle de ceux
dont les études leur auront permis d’échapper à ce destin funeste, qui arrivent
de toute façon à 64-65 ans au moins après une carrière complète, et qui
pourraient sans problème travailler quelques années de plus.
Un autre enjeu, non
moins essentiel et occulté, est le poids économique de la génération des
boomers : ils ont dorénavant plus de revenus et de patrimoines que les
actifs, un renversement inédit dans toute l’histoire du travail. L’enrichissement
global de cette génération – qui masque de grandes inégalités -, la mienne, a
profité d’une croissance artificiellement boostée par un endettement abyssal,
et par une surconsommation énergétique et matérielle qui a détruit la planète
et bousillé le climat. C’est aussi cette génération qui constitue le noyau dur des
soutiens à la réforme actuelle : « Travaillez plus longtemps… pour
garantir le paiement de nos pensions, assurer notre vie de rentiers
pantouflards. » semblent-ils dire.
Ce à quoi on reconnait
la vérité, c’est qu’elle est difficile à accepter.
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