Depuis le clash de la cérémonie des Césars, nous
baignons dans un gloubiboulga de concepts hétérogènes, qui désoriente nos boussoles
morales. On y trouve pêle-mêle : la présomption d'innocence, la diffamation, la
libération de la parole des victimes, la séparation entre l'oeuvre et son
auteur, le tribunal médiatique... Mélange indigeste pour qui cherche à se faire
une idée claire sur l’évènement. Point d'orgue de la confusion, l'intervention
de Florence Foresti et sa liste de bannis : Weinstein, Polanski, Woody Allen,
DSK et Patrick Bruel. Une liste à la Prévert de cas totalement différents, qui
n'ont entre eux qu'un rapport sexuel, enfin plusieurs si j’ose dire, et que des
juifs, tiens tiens... non seulement ils sont partout, mais ils sont tous des
porcs. Jean-Luc Lahaye et Jean-Marc Morandini ne sont sans doute pas suffisamment
bankables et trop goys pour figurer dans cette liste noire. Deux concepts pour
comprendre ce qui se joue ici : Le principe d’Antigone et l’attitude de l’Exit.
Le principe d’Antigone - alias Adèle Haenel : c’est
l’opposition entre la loi morale et la loi commune, entre la légitimité et la
légalité. Il consiste à dénoncer un pouvoir légal – celui de la Cité
représentée par Créon, ou du monde du cinéma représenté par l’Académie des
Césars - au nom d’une légitimité supérieure – celle des dieux pour Antigone, d’un
pur idéal de justice incarné par Adèle Haenel. C’est beau mais le sens profond
de la pièce de Sophocle est tragique : Antigone a raison mais Créon n’a
pas tort. Polanski quoiqu’il ait fait est sans conteste un génie du cinéma qui
mérite d’être reconnu comme tel, notamment par ses pairs, et c’est justement
cette position qui en fait un symbole des violences faites aux femmes. Le monde
des symboles est simple et binaire, alors que la réalité est complexe.
L’attitude de l’Exit ainsi résumé par Virginie
Despentes : « Désormais, on se lève et on se barre ! ».
Cette attitude a été théorisée en 1970 par le grand économiste étatsunien Albert
Hirshmann : Exit, Voice ans Loyalty, les trois attitudes possibles face à
la défaillance d’une institution, faire soi-même défection – se barrer - , s’exprimer
publiquement – ouvrir sa gueule -, ou continuer à jouer son rôle dans l’institution
– se taire et rester. Ces choix relèvent uniquement de la conscience
individuelle vis-à-vis d’une institution, en l’occurrence l’Académie des Césars
qui n’a pas failli car elle n’a fait que ce pour quoi elle a été créée, et qui
n’a pas à se substituer à l’institution judiciaire ou à se poser en tribunal
moral.
Le clash des Césars n’est pas l’affaire Dreyfus – le
parallèle est saisissant, surtout quand Florence Foresti nous rappelle opportunément
que l’antisémitisme sévit toujours - mais une mise en abîme de la société du
spectacle qui se met elle-même en spectacle, et du spectacle, pour une fois, il
y en a eu !
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