lundi 30 mars 2020

Faut-il revenir à la normale ?



« Rien ne serait pire qu’un retour à la normale ! » écrit Nicolas Mathieu dans un des innombrables articles consacrés à ce sujet. Un consensus largement partagé : il y aura un avant et un après Covid19 ! Oui mais la force de l’habitude, le tropisme consumériste, les enjeux économiques, des forces considérables pousseront vers un retour à la « normale », une « relance », un « effet rebond ». Il y aura donc en présence deux forces colossales et diamétralement opposées l’une à l’autre : celle du retour à la normale et celle du recours à l’anormal. Mais normal, c’est quoi au juste ?
Pour analyser la normalité, le philosophe Georges Canguilhem est une ressource incontournable. Dans Le normal et le pathologique, Canguilhem, par ailleurs médecin, en distingue deux significations diamétralement opposées, : le normal dans une machine consiste purement et simplement dans la conformité de son fonctionnement effectif avec un plan préétabli - la machine est normale si « elle tourne comme prévu » -, le normal, pour le vivant, c'est autre chose : c'est la capacité normative, la capacité à se donner de nouvelles normes de vie. Ainsi, ce qui caractérise le vivant, ça n’est pas la normalité, une allure de vie provisoire, liée aux exigences d’un milieu, mais la normativité, la capacité à se donner de nouvelles normes en fonction des changements du milieu.
Quel est le sens de la maladie et de la guérison de ce point de vue ?
« Le vivant malade […] a perdu la capacité normative, la capacité d'instituer d'autres normes dans d'autres conditions » « La gravité de la maladie se mesure selon l’importance de cette réduction des possibilités d’adaptation et d’innovation de l’organisme ». Cependant, « aucune guérison n’est un retour à l’innocence physiologique car il y a irréversibilité de la normativité biologique […] guérir c’est se donner de nouvelles normes de vie, parfois supérieures aux anciennes", mais jamais identiques. »
            Alors faisons du déconfinement, une guérison collective, un appel à la vie : instituons de nouvelles normes, collectivement et individuellement, refusons le « retour à la normale », la normalité des machines, et osons l’inédit, l’impensable, l’impossible, fruit de notre fonction vitale essentielle : la capacité à changer les normes. Occasion historique inespérée : transformons le destin en providence ! Osons le recours à l’anormal !

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