La réforme des retraites en cours met en jeu une très
ancienne opposition entre deux conceptions de la justice : la déontologie
et le conséquentialisme. Selon la première, une action est juste si son
intention est bonne, autrement dit si elle est fondée sur un principe moral considéré
comme juste a priori, quelles qu’en soient les conséquences ; selon la
seconde, une action n’est juste que si ses conséquences sont favorables pour
les individus concernés, quelle que soit l’intention de départ. Selon la
première conception, appliquer le principe d’universalité au système de
retraite semble juste : il est en effet évidemment injuste que des
individus ayant travaillé autant de temps et cotisé de la même façon ne soient
pas traités de la même façon selon le régime de retraite dont ils dépendent.
Mais selon la seconde, un changement de système générant des perdants,
notamment parmi les moins favorisés, semble tout aussi injuste. Il serait
catastrophique du point de vue moral d’avoir à sacrifier l’un de ces deux
principes.
Il ne fait plus de doute que la réforme
entrainera une baisse de pension pour ceux qui n’auront pas une carrière
complète à l’âge requis, les plus exposés aux aléas du marché du travail :
les ouvriers et employés, les moins qualifiés, les travailleurs indépendants,
les femmes et ceux qui galèrent pendant des années avant de décrocher un emploi
stable. On ne calculera plus leur retraite sur leurs « meilleures
années » mais sur l’entièreté d’une carrière en pointillés. La réforme
profitera essentiellement à ceux qui auront une carrière complète avec de hauts
revenus, qui étaient déjà les mieux lotis à tous les niveaux, y compris
l’espérance de vie en bonne santé à l’âge de la retraite.
Ainsi, présenter le projet comme une
réforme « de justice, d’équité et d’égalité » ne peut apparaître
autrement que comme une tentative de manipulation qui provoque encore plus de
colère. Il y a pire que commettre une injustice, c’est la camoufler sous le masque de la justice.
Mais alors faut-il choisir entre l’universalité et l’équité, abandonner l’une
pour obtenir l’autre ?
C’est une fausse alternative. Poser l’égalité
comme principe de base de l’accès à la retraite est un préalable
incontournable, mais il faut ensuite moduler cette égalité en fonction des
situations singulières, c’est le sens même de l’équité. Ainsi une réforme juste
lierait le principe déontologique d’universalité, tempéré par un compte
pénibilité basé sur des critères objectifs, et le principe conséquentialiste légitimant
des inégalités de traitement uniquement si elles profitent aux moins favorisés
par le système : ne faire aucun perdant dans la tranche des pensions
inférieures au salaire net médian – 1800 euros - par exemple. Si cette option n’a
pas été affirmée haut et fort dès le départ c’est qu’elle est clairement
incompatible avec ce qui apparaît comme le véritable but de la réforme affirmé
explicitement dès le départ : réduire le financement des retraites, en le
limitant strictement à 14% du PIB.
« Une société où l'économique
domine le politique (et dans l'économique, la compétition donc le calcul et
l'appétit du gain, ce qui est la définition même d'une économie de marché) est
une société qui crée des inégalités insupportables. » disait
Paul Ricœur dont M. Macron fut soit disant « l’assistant », et dont
il devrait s’inspirer.
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