samedi 14 décembre 2019

Sommes-nous entrés dans l'ère de la société par points ?



Un changement de société se joue au-delà du conflit sur l’âge de départ en retraite et sur le montant des pensions. Passer de 42 régimes particuliers de retraite à l’universalisme individuel, passer des meilleures années d'une carrière professionnelle à l’accumulation de points tout au long de la vie active, ces mutations sont une nouvelle forme de la disparition programmée des anciennes modalités de socialisation par le travail, les statuts, les corps de métiers, cet effritement qui s’opère à bas bruit depuis les années 80, vise l’avènement d’un monde d’individus déliés, désaffiliés, hors sol, aux trajectoires radicalement singulières. La nouvelle société aura la forme d’un espace euclidien, constitué de points, les individus atomes sociaux, vecteurs de différents capitaux qu'il leur incombera de faire fructifier : capital santé, capital mobilier et immobilier, capital retraite, capital formation,… Le refus de la retraite par points est peut-être aussi plus profondément celui de la société par points.
Dans ce système par points en voie de généralisation, chacun sera noté dans tous les aspects de sa vie, et chacun sera invité à noter les autres. On nous vend cette course aux points sur le modèle de la justice sportive : l’égalité des coureurs sur la ligne de départ. Peu importe que certains partent avec des avantages, ce qui comptera in fine sera la somme des capitaux acquis et bien gérés. Ainsi l'auto-entreprise de soi-même est le modèle en voie de généralisation de ce monde idéal où chacun(e) sera pleinement responsable de son sort, où les solidarités se réduiront à la gestion de l’extrême pauvreté.
L’homme par points est l’homme calculable, interchangeable, achetable, vendable, la société par points est celle où toutes les valeurs sont enfin réduites à une seule : le prix. Dans cette société par points, les anciennes solidarités, les régimes spéciaux, les corps de métiers, les services publics,… sont des archaïsmes dont il faut se débarrasser au nom de l’adaptation au monde qui change.
« Les qualités individuelles qui ne sont pas quantifiables sont un obstacle si l’on veut organiser les hommes et les choses en fonction de l’énergie quantitative que l’on doit extraire d’eux. » prédisait déjà Herbert Marcuse en 1964 dans l’Homme unidimensionnel.

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