En régime démocratique, l’opinion publique s’exprime « normalement »
par le vote ou la participation à des instances délibératives. Alors, en se
rassemblant sur la voie publique, un groupe de citoyens manifeste qu’il s’estime
pas - ou mal - pris en compte dans une décision. Par ce moyen, il entend faire pression
sur ceux qui sont en charge de la décision. Cette pression se mesure
quantitativement par le nombre d’individus mobilisés, et s’évalue qualitativement
par le fait de braver la loi, d’affronter physiquement la police, ou de
détruire des biens matériels. Ainsi la manif’ exprime concrètement le degré de
colère de ceux et celles qui s’estiment oubliés, sacrifiés, dans le processus
décisionnel, ou d’indignation de ceux et celles qui se posent en défenseurs de certains
biens, certaines valeurs, jugés inaliénables et, comme tels, soustraits à la
sphère de la décision politique. L’actualité récente offre de nombreux exemples
de ces deux catégories de manifestation : l’éco-taxe, les agriculteurs en
colère, la manif pour tous, le barrage de Sivens, l’aéroport Notre Dame des
Landes, la ferme des 1000 vaches,… Tous ces cas relèvent du même schéma :
l’opposition à une décision prise dans un cadre démocratique,…. au nom d’une « vraie »
démocratie. Ces manifestations se présentent donc elles-mêmes comme le symptôme
d’une pathologie du système démocratique. Qu’en est-il ?
Pour préserver la stabilité de la communauté, la décision
démocratique, qui prétend dépasser le dissensus par la délibération, doit in
fine obtenir l’accord tacite de ses opposants. Mais le processus démocratique bute
sur un point aveugle : il n’est pas juste qu’une majorité arithmétique, passive
ou peu impliquée, impose purement et simplement sa décision à une minorité fortement
engagée et passionnée. Au-delà de la crise de légitimité de l’institution et de
ses « élites », c’est ce point aveugle de la démocratie que manifeste
la manifestation.
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