mardi 27 février 2018

L'homme est-il un porc pour la femme ?



            Le séisme Weinstein n’en a pas fini de produire ses effets. Il a fait remonter une couche profonde de notre réalité, jusqu’à présent cachée : la guerre des sexes. Selon Caroline de Haas, porte-voix du néo-féminisme, une femme sur deux aurait été victime d’un viol, d’un harcèlement ou d’une agression. Fait statistique brut, brutal, à la louche, dont elle déduit qu’« un homme sur deux ou sur trois est un agresseur »*. Poussons cette « logique infaillible » à son terme : pour « un homme sur deux ou trois » qui serait passé à l’acte, il y en aurait bien plus qui n’auraient pas osé le faire, des porcs timorés en somme. De ce point de vue, le champ du désir apparaît comme le champ de bataille d’une guerre des sexes initiée, alimentée et dominée par les mâles. Grâce à M. Weinstein, la réalité est enfin dévoilée : L’homme est un porc pour la femme. Variation du fameux L’homme est un loup pour l’homme principe d’une très ancienne anthropologie pessimiste dont Hobbes déduisit l’absolue nécessité d’un pouvoir ultra coercitif, le Léviathan : « Aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui le tiennent tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun. », plus précisément ici de chacun contre chacune. Ainsi seule la peur du Léviathan peut inhiber l’agressivité naturelle de l’homme-loup pour l’homme, et de l’homme-porc pour la femme.
Curieusement c’est le même principe qui gouverne une idéologie qui semble a priori aux antipodes du néo-féminisme : le fondamentalisme musulman. Les femmes doivent se voiler le visage, baisser les yeux et cacher leur corps car les hommes sont des porcs qui interpréteraient tout manquement à ces règles pour une provocation sexuelle. Ainsi à partir du même diagnostic sur la nature porcine des mâles humains, deux remèdes opposés : le contrôle les femmes pour le fondamentalisme musulman, le contrôle des hommes pour le néo-féminisme. Mais le fondamentalisme me semble plus cohérent dans son anthropologie négative : les femmes ne sont pas moins perverses que les hommes, hommes et femmes sont des porcs et des truies, que seule la Charia-Léviathan peut tenir en respect. Pour les néo-féministes, les femmes ne sont que victimes et jamais – ou si peu – perverses, allumeuses, affabulatrices. Il semblerait alors qu’hommes et femmes sont comme deux espèces distinctes, la première ayant asservi la seconde. Pour les néo-féministes, l’Etat des mâles étant « complice d’un crime de masse », la pacification de la guerre des sexes attend encore son Léviathan. En l’attendant, on a les réseaux sociaux.

*https://www.nouvelobs.com/societe/20180214.OBS2173/caroline-de-haas-un-homme-sur-deux-ou-trois-est-un-agresseur.html
 

jeudi 8 février 2018

Faut-il avoir peur des migrants ?



            L’opposition entre nomades et sédentaires est l’un des déterminants majeurs de l’histoire de l’Homo sapiens. Après 300 000 ans de micro-sociétés nomades, 10 000 ans de macro-sociétés sédentaires, assiste-t-on en direct live au retour d’un conflit ancestral ? La peur du nomade semblait définitivement appartenir au passé, resurgissant aujourd’hui sous la forme du « migrant », elle met en tension la morale de l’hospitalité, la responsabilité politique, les calculs économiques, et une xénophobie rampante exacerbée par la peur du terrorisme.
Pour y voir plus clair, il faut d’abord évacuer les connotations cachées sous le vocable « migrant ». Dans les discours publics, son association avec « flux », « vague », « points de fixation », « appel d’air », l’inscrit dans le registre du cataclysme naturel ou de la migration animale, gommant toute référence à une histoire individuelle, une trajectoire singulière, et légitimant un indigne « protocole de la bavure* ». Le terme « exilé » est bien plus juste, il combine la dimension dramatique de l’exil forcé, à celui, héroïque, de l’exil volontaire. Ainsi l’exilé est à la fois une victime et un héros, si l’on songe au courage, aux ressources psychiques et matérielles qu’il a dû mobiliser pour mener à bien son projet.
Voici les deux figures de l’homo mobilis moderne : le voyageur et l’exilé, et leurs faces sombres : le touriste et le clandestin. Ce qui distingue les deux au premier contrôle : l’un a un passeport, l’autre est sans papiers. L’un est-il un bienfait l’autre un fléau ? A y regarder de plus près, Les vagues de touristes en low cost contribuent largement à la destruction de la planète, alors que les exilés apportent leur courage et leur intelligence au service de la société qui les accueille.


Selon Victor Hugo « L’exil, c’est la nudité du droit. ». Veut-il dire que l’exil ramène le droit positif à des droits plus fondamentaux ? Le droit de se déplacer sur la terre, le droit de fuir des conditions d’existence indignes, et le droit pour une communauté politique de se donner des frontières. Il faudra nécessairement réduire les vagues touristiques, et apprendre à vivre avec les exilés, qu’ils soient réfugiés politiques, climatiques ou économiques. La misère est-elle un motif moins légitime pour l’exil que la persécution politique ? Alors il faudra vaincre nos peurs largement fantasmatiques, et concilier les droits fondamentaux sous la forme d’une politique de l’hospitalité réglée par le droit. Que l’on soit voyageur ou exilé, tout être humain devrait pouvoir demander un visa pour traverser les frontières, avec un billet d’avion aller-retour, et une durée déterminée de séjour. Ces visas devraient être payants, à un prix inférieur - avec le billet d’avion - à ceux que pratiquent les mafias des passeurs, prix que l’on évalue à plusieurs milliers d’euros ! Ces visas serviront donc à lutter contre le trafic d’êtres humains, mais aussi à réguler et limiter les vagues touristiques.
Le voyage est un exil vers l’autre, l’exil est un voyage vers soi.

jeudi 18 janvier 2018

Faut-il défendre le droit d'"importuner" ?



En réaction au #BalanceTonPorc, une tribune du Monde cosignée par 100 femmes intitulée « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle. » a déclenché une vague d’indignation. Au milieu des invectives et des procès d’intention – on a même parlé d’apologie des violences sexuelles – un point positif : une ébullition de pensée sur des thèmes essentiels comme la domination masculine et les rapports de désir. Parmi les questions posées, celle consistant à savoir si, entre importuner et agresser, il y a une différence de degré ou de nature. Y a-t-il commune mesure entre un jeu de séduction, une drague un peu lourde, un geste ou une parole déplacée, une agression sexuelle ? Y aurait-il alors un continuum du simple clin d’œil jusqu’au viol ? A l’évidence non, mais où se situe exactement le point de rupture ? Faut-il jeter dans le même sac le « porc-étalon » Weintein, et le « porc zéro », celui « balancé » par la journaliste à l’origine de #BalanceTonPorc ? D’un côté un véritable prédateur sexuel, de l’autre un mec bourré qui exprime très vulgairement son désir par des mots crus. Une évidence semble s’imposer : le point de rupture de continuité entre importuner et agresser est intrinsèquement subjectif. Telle personne se sentira légèrement agacée par un geste déplacé, telle autre en sera profondément affectée. Ainsi l’idée d’un droit d’importuner me semble passer à côté de l’essentiel.
D’une part c’est la subjectivité de chacun(e) qui seule peut fixer le seuil critique où l’on passe d’un geste déplacé à une agression. La liberté à défendre n’est donc pas celle d’importuner, mais celle d’initier un jeu de séduction qui se joue à deux, et implique un feed-back réciproque permanent : « Stop » ou « Encore ».
D’autre part, si la domination masculine est un fait brut et massif contre lequel il faut lutter inlassablement, tous ensemble, femmes et hommes, on ne réussira jamais – et tant mieux - à normaliser, réguler, aseptiser les rapports de désir, car ils impliquent irrémédiablement une part obscure, sauvage, bordélique. Le droit à défendre n’est donc pas celui d’importuner, c’est celui de prendre le « risque d’importuner » dans une relation de désir symétrique. Il faut peut-être « balancer les porcs », mais aussi libérer les cochons et les truies joyeuses !

samedi 23 décembre 2017

L'antiracisme est-il devenu raciste ?



L’antiracisme réfutait l’assignation d’individus à une « race », une communauté supposée biologiquement homogène, du fait d’un caractère commun à partir duquel les racistes infèrent de façon fallacieuse un ensemble d’états mentaux, de caractères, de tendances ou de comportements.
Or, trois polémiques récentes sont révélatrices d’une mutation de l'antiracisme. Le déguisement d'Antoine Griezman en basketteur des Harlem Globetrotters pour une soirée années 80, la « crinière de lionne » que la nouvelle Miss France attribue à sa « prédécessoeur » martiniquaise, la « Nuit des noirs » des carnavaleux dunkerquois. Cette mutation se manifeste d’abord par une sur-interprétation de tous les discours et comportements. La nouvelle police des mœurs et des discours évoque, à bon droit semble-t-il à première vue, la tradition raciste étazunienne des « Blackface », où les personnes noires étaient ridiculisées dans les music-halls blancs, ainsi que la vieille association raciste entre peau noire et animalité. Alors, n’est-il pas légitime de condamner tout ce qui de près ou de loin semble relever de stéréotypes raciaux ? Ou bien n’est-il pas contre-productif de voir le racisme partout, même là où il n’est pas dans les intentions des acteurs ?
Le déguisement de Grizou n’évoque-t-il pas celui de Dieudonné en rabbin ? Mais dans ce cas, le déguisement était accompagné d’un discours clairement antisémite, c’est-à-dire explicitement dirigé contre une communauté de fait. Mais qui est sensé se sentir outragé ici ? Une hypothétique « communauté noire ». Ainsi, le nouvel antiracisme en vient à redonner consistance à une différence communautaire entre « les blancs » et « les noirs ». Le problème c’est que le nouvel antiracisme met dans le même sac les actes authentiquement racistes – les insultes, les violences, les discriminations -, et ce qui relève du jeu avec la différence. Par ailleurs, il assimile abusivement l’islamophobie à une forme de racisme, alors qu’il s’agit d’abord du rejet d’une idéologie – l’Islam - qui accompagne et justifie une violence atroce et un renforcement de l’antisémitisme, une des formes les plus odieuse du racisme. Le racisme est un sujet grave, et il faut le combattre farouchement. Or ces polémiques apparaissent dans un contexte où le racisme et l’antisémitisme montent en puissance de façon très inquiétante.
L’antiracisme hyperbolique a pour effet paradoxal d’instituer des communautés de « racisés » à la place des « races », il consiste au fond, non pas à rejeter le racisme en lui-même, mais à revendiquer le monopole de la parole autorisée pour sa propre communauté. Ainsi les « blancs » devenus « souchiens » n’ont pas le droit de se déguiser en « noirs » ou de  caricaturer l’Islam, – ce nouvel antiracisme n’est clairement pas Charlie. On renvoie Griezman à sa « blanchité » pour interpréter son déguisement comme attentatoire à la communauté noire. C’est cette sur-interprétation qui permet de fonder un « nous » (les noirs en l’occurrence) face à un « eux » (les blancs). Le nouvel antiracisme réinterprète le racisme non comme l’institution imaginaire et fallacieuse de communautés raciales – les « races » -, mais comme une offense envers une communauté « racisée » - les « noirs » - par une autre, non moins racisée – les « blancs ». Ce racialisme est au fond une forme de racisme !

jeudi 30 novembre 2017

La langue est-elle sexiste ?



Le sexisme a fini par intégrer la liste des abominations idéologiques de l’humanité, à l’égal du racisme et de l’antisémitisme. Or c’est notre langue elle-même qui se retrouve aujourd’hui accusée de cette tare. « Le masculin l’emporte sur le féminin. » Comment nier que cette formule lapidaire, implémentée dans nos cerveaux à force de répétitions professorales, ne contribue pas à l’entreprise de virilisation des petits mâles, avec d’autres maximes : « Les garçons ne pleurent pas. », et autre « Montre que tu as des couilles ! ». Fabrication psycho-socio-linguistique des futurs névrosés de la masculinité. Mais cette formule ne rend-elle pas compte d’une règle grammaticale ? La langue est-elle sexiste ?
Selon Roland Barthes, « La langue est fasciste ! ». Elle nous marque de son sceau indélébile, elle n’empêche pas de dire, pire : elle impose un prêt-à-parler qui devient un prêt-à-penser. Les mots impliquent une grille de lecture du monde, ainsi il est bon d’en éradiquer certains, toxiques - « nègre », « youpin », « bicot »,…Dites… Ne dites pas… De même si l’on ne peut pas empêcher de confirmer dans tous nos discours que « le masculin l’emporte sur le féminin », faudrait-il réformer la langue et dire : « L’homme et la femme se sont assises. » ? Mais ce serait alors une forme de sexisme inverse : « Le féminin l’emporte sur le masculin. » ! On peut plus aisément changer les noms - la cheffe, l’écrivaine, l’auteure,… -que la grammaire. Que faire alors ?
Le fond de l’affaire, ce n’est pas le sexisme grammaticalement fondé, mais l’abêtissement économiquement programmé. Ainsi la formule « Le masculin (M) l’emporte sur le féminin (F). » est toxique et surtout fallacieuse. Elle relève d’une simplification abusive sous la forme : M.+F.=M. Or la réalité est tout autre :
-       M.+F.=N., autrement dit, le masculin est bivalent : masculin et neutre. Le neutre l’emporte sur le féminin et le masculin !
-       Le genre grammatical est distinct du genre génétique, lui-même distinct du genre social. Ne dit-on pas : « le vagin » et « la verge » ? Le genre masculin grammatical n’a rien à voir avec le genre masculin bio-psycho-social !
Contre un pseudo-sexisme de la langue, il faut enseigner l’esprit de finesse, la nuance et la complexité. Et contre le fascisme de la langue, il faut opposer un anarchisme de l’usage. Mais celui-ci suppose d’abord l’acquisition d’une norme standard, la langue commune à partir de laquelle tout est possible, tout peut se dire ! La langue : un lien qui libère.