La liberté d’expression est légitimement considérée
comme une valeur essentielle, mais la concomitance de deux faits d’actualité, l’anniversaire
de l’attentat contre Charlie et l’abandon de toute régulation sur Facebook, rappelle
son ambivalence : cette liberté peut être vecteur d’émancipation ou de
domination. On le sait depuis longtemps, mais la puissance technologique déchaînée
fait peut-être aujourd’hui de cette opposition un enjeu civilisationnel.
La liberté d’expression qu’incarne Charlie relève de
la liberté de la presse, un pilier essentiel de toute démocratie où les opinions
dans leur grande diversité doivent pouvoir être publiées par des médias
indépendants où travaillent des journalistes qui assument leur travail. Charlie
c’est le rire contre les fanatismes… au risque de blesser, mais les cibles de
Charlie sont les religions et les idéologies qui ne peuvent en aucun cas être « offensées ».
La liberté d’expression sur Facebook relève d’une toute
autre catégorie. Comme X, Tik-tok, Instagram, etc… les réseaux dits
« sociaux » sont essentiellement l’expression publique d’opinions
individuelles privées. Où est le problème ? Les algorithmes attribuent un
poids relatif aux opinions exprimées, or on sait que la haine, la
désinformation ou les théories extravagantes attirent infiniment plus que la
mesure, les faits établis ou les théories scientifiques standards. Ainsi, des spirales
algorithmiques opaques amplifient ces biais générant des communautés de
croyances hermétiques à la critique, qui divisent la société en groupes
hostiles refusant l’idée d’un l’intérêt commun. Les démocraties tentent de
mettre en place des normes de modération, mais l’abandon de toute régulation
par Mark Zuckerberg, après X, inaugure une ère de liberté d’expression déchaînée.
Les réseaux devenant ainsi de fait « antisociaux »
sont les instruments de pouvoir d’une poignée de méga-entreprises mondiales, qui
visent dorénavant explicitement à saper la démocratie libérale et ses normes
régulatrices, et rendre obsolètes les médias « classiques » d’information,
voire-même la profession de journaliste.
Il y a alors un véritable enjeu civilisationnel dans l’opposition
frontale entre les démocraties libérales et les Seigneurs de la Tec. Qui
gagnera ? La puissance de la norme ou la norme de la puissance ?