L’élection de Donald
Trump est-elle un sidérant coup de tonnerre dans un ciel sans nuages, ou la
dernière réplique d’un séisme en cours ? Je penche avec d’autres pour la
deuxième hypothèse : cet évènement s’inscrit dans un processus qui a
commencé depuis plusieurs décennies, la désintégration des démocraties libérales.
Celle-ci se caractérise par une défiance croissante vis-à-vis des institutions
qui la portent, la justice, les grands médias d’information, et bien sûr la
classe politique. Sans coup d’Etat, ce phénomène équivaut au fond à une forme
de suicide démocratique.
Un anthropologue
étatsunien, Peter Turchin, a analysé méticuleusement l’histoire longue du phénomène
de désintégration des sociétés, des empires, des civilisations. Il relève deux
marqueurs déterminants : un appauvrissement des classes populaires combiné
à une « surproduction d’élites »
dont il donne un exemple frappant : aux États-Unis, en 1980, 66 000
individus avaient une fortune supérieure à 10 millions de dollars, en 2020, il
y en avait 693 000 ; parallèlement la part des diplômés de
l’enseignement supérieur dans les démocraties libérales n’a pas cessé de
croître. Cette « surproduction des élites » se heurte à la limitation des positions de pouvoir qu’elles
revendiquent. Ainsi, les sociétés sont fragilisées par deux forces puissantes :
d’une part le ressentiment des classes en voie de paupérisation, d’autre part la
concurrence féroce entre les élites, financières ou académiques, pour les
positions de pouvoir. Ces deux forces puissantes produisent différentes formes
de radicalisation. A droite le populisme nationaliste, à gauche l’exacerbation
des revendications de reconnaissance des communautés discriminées. Le premier a
un grand avantage sur le deuxième, il promeut la défense du « Peuple » contre les « élites corrompues », combinant
ainsi les deux forces qui ébranlent les bases de la société. C’est cette
combinaison qui a porté Trump au pouvoir, comme ailleurs avant lui Orban,
Meloni, Milei, Bolsonaro, Modi, …Si les sociétés étaient une forêt, on pourrait
dire que l’on y trouve aujourd’hui une concentration croissante d’acide
nitrique et de glycérol – les composants de la nitroglycérine - sur un terrain
saturé de matières inflammables.
Que faire ? Être
lucide sur cette situation et promouvoir ce qui pourrait empêcher l’incendie : une imposition significativement
accrue des plus riches, une régénération de la démocratie, des garanties sur l’indépendance
des grands médias vis-à-vis du pouvoir politique et des élites financières, une
modération de la guerre économique et de la surconsommation qui détruisent la
nature tout en aliénant les êtres humains. Rien de bien nouveau, mise à part l’urgence
d’agir pour éviter le chaos qui vient.
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