vendredi 8 novembre 2024

Comment penser le moment Trump ?

 

L’élection de Donald Trump est-elle un sidérant coup de tonnerre dans un ciel sans nuages, ou la dernière réplique d’un séisme en cours ? Je penche avec d’autres pour la deuxième hypothèse : cet évènement s’inscrit dans un processus qui a commencé depuis plusieurs décennies, la désintégration des démocraties libérales. Celle-ci se caractérise par une défiance croissante vis-à-vis des institutions qui la portent, la justice, les grands médias d’information, et bien sûr la classe politique. Sans coup d’Etat, ce phénomène équivaut au fond à une forme de suicide démocratique.

Un anthropologue étatsunien, Peter Turchin, a analysé méticuleusement l’histoire longue du phénomène de désintégration des sociétés, des empires, des civilisations. Il relève deux marqueurs déterminants : un appauvrissement des classes populaires combiné à une « surproduction d’élites » dont il donne un exemple frappant : aux États-Unis, en 1980, 66 000 individus avaient une fortune supérieure à 10 millions de dollars, en 2020, il y en avait 693 000 ; parallèlement la part des diplômés de l’enseignement supérieur dans les démocraties libérales n’a pas cessé de croître. Cette « surproduction des élites » se heurte à  la limitation des positions de pouvoir qu’elles revendiquent. Ainsi, les sociétés sont fragilisées par deux forces puissantes : d’une part le ressentiment des classes en voie de paupérisation, d’autre part la concurrence féroce entre les élites, financières ou académiques, pour les positions de pouvoir. Ces deux forces puissantes produisent différentes formes de radicalisation. A droite le populisme nationaliste, à gauche l’exacerbation des revendications de reconnaissance des communautés discriminées. Le premier a un grand avantage sur le deuxième, il promeut la défense du « Peuple » contre les « élites corrompues », combinant ainsi les deux forces qui ébranlent les bases de la société. C’est cette combinaison qui a porté Trump au pouvoir, comme ailleurs avant lui Orban, Meloni, Milei, Bolsonaro, Modi, …Si les sociétés étaient une forêt, on pourrait dire que l’on y trouve aujourd’hui une concentration croissante d’acide nitrique et de glycérol – les composants de la nitroglycérine - sur un terrain saturé de matières inflammables.

Que faire ? Être lucide sur cette situation et promouvoir ce qui pourrait empêcher l’incendie : une imposition significativement accrue des plus riches, une régénération de la démocratie, des garanties sur l’indépendance des grands médias vis-à-vis du pouvoir politique et des élites financières, une modération de la guerre économique et de la surconsommation qui détruisent la nature tout en aliénant les êtres humains. Rien de bien nouveau, mise à part l’urgence d’agir pour éviter le chaos qui vient.