Le R.N. fait partie du paysage politique français depuis tellement
longtemps qu’il semble être devenu un parti – presque – normal. Aussi une
question se pose : le Front républicain
anti-R.N. des législatives relève-t-il d’une crise de panique morale dans le
chaos de la dissolution, ou bien est-il un sursaut de conscience face au péril
fasciste ?
Si l’étiquette extrême droite
fait relativement consensus, beaucoup rechignent aujourd’hui à qualifier le
R.N. de fasciste. Le recours à l’origine
du F.N. fondé par des collabos, Waffen ss et anciens de l’OAS, se heurte d’une
part à l’oubli et d’autre part à l’idée que le passé étant passé, seul compte
le présent. Par ailleurs, faut-il distinguer comme beaucoup le font, le parti
et ses sympathisants « fâchés pas
fachos » ?
Parmi les essais pointant le caractère fasciste du R.N. et la
psycho-sociologie de son électorat, il faut à mon avis lire le petit opuscule Reconnaître le fascisme écrit en 1995
par Umberto Ecco, et s’intéresser au travail plus récent du philosophe Michel
Feher dans son essai Producteurs et
parasites.
Umberto Ecco, à partir de son expérience du fascisme italien, donne 14
critères de ce qu’il nomme « fascisme
éternel ». Celui-ci est raciste par définition, mais aussi xénophobe
et complotiste, il rejette l’intelligentsia cosmopolite, il mobilise une classe
moyenne frustrée, souffrant de la crise
économique ou d’un sentiment d’humiliation politique, persuadé d’un complot des
élites et effrayé par la pression qu’exerceraient des groupes sociaux
inférieurs.
Michel Feher quant à lui intègre le
fascisme dans un courant d’idées de l’Histoire longue qui, depuis la Révolution
française, distingue radicalement le « Peuple »
qui travaille et produit la richesse, et les « parasites » qui vivent sur son dos. Ceux d’en haut détournent
le capital économique et pervertissent le capital culturel, alors que ceux d’en
bas - pauvres, assistés, chômeurs - vivent aux crochets du système productif.
Il faut ajouter un élément essentiel : la nature ethno-raciale des « parasites » : en haut les aristocrates
ont laissé la place aux juifs, en bas les étrangers, métèques, africains et arabes,
migrants aujourd’hui.
Le R.N., après le F.N.,
est très habile pour avancer masqué et envoyer des signaux à bas bruit à son
électorat. Ainsi concernant le partage entre bons français et parasites, Jordan Bardella lance innocemment sur BFM : Les français d’origine étrangère qui
travaillent et respectent la loi n’ont rien à craindre de l’arrivée au pouvoir
du R. N… Quant aux autres… Marine Le Pen appelle récemment à ne pas choisir entre «les destructeurs d’en haut et ceux d’en bas»…
derrière l’allusion aux macronistes et au Front poulaire, apparaissent en filigrane
les parasites, étrangers, ou pas
vraiment français, délinquants ou prédélinquants. Etude récente : 54 % des électeurs du R.N. se disent racistes
(source Le monde 27 juin 2024 citant le rapport annuel de la CNCDH). Dans leur
ensemble il
leur semble absurde et injuste de devoir payer des impôts et des cotisations
sociales pour des groupes sociaux considérés comme moins légitimes pour
bénéficier de la solidarité nationale.
Alors, plutôt que fâchés pas fachos, l’électeur R.N. est facho pas fâché..
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