Nous qui vivons en toute quiétude, bien au chaud dans
nos maisons, nous qui trouvons le soir en rentrant la table mise et des visages
amis*… comment pouvons-nous
penser l’impensable ? L’impensable : ce que ressentent les israéliens
face au retour des pogroms, ce que ressentent les gazaouis sommés de déguerpir
la peur au ventre, sous les bombes, ce que ressentent les proches de Dominique
Bernard. Remarquons d’abord que, contrairement au professeur et aux israéliens
massacrés, certains morts n’ont pas de noms ni de visages, ils n’existent pour
nous que sous la forme de chiffres, des ombres derrière des nombres. Il y a
donc de fait une échelle de valeur des vies, et des biais de couverture
médiatique en fonction de la proximité géographique ou culturelle. Par ailleurs
dès que les morts sont liées au conflit israélo-palestinien, des préjugés profondément
ancrés en nous, nous font adopter une échelle de valeur selon que les victimes
sont israéliennes ou palestiniennes. Un biais d’empathie différentielle, doublé
d’un biais de confirmation par le choix de nos sources d’information : les médias – nos médias - pensent comme nous.
Si l’on fait taire une minute nos a priori, une morale minimale s’impose :
les morts se valent tous par le drame d’une vie brutalement interrompue, et par
la souffrance de leurs proches.
Par contre les responsables
ne se valent pas. D’un côté une organisation islamo-fasciste qui tient Gaza
sous sa férule totalitaire, sans possibilité de contestation, qui massacre de
sang froid des femmes et des enfants parce qu’ils sont juifs ; de l’autre un
Etat qui riposte par des bombardements tuant des innocents sans les viser
délibérément, un gouvernement d’extrême droite mais élu dans un Etat
démocratique où l’opposition peut s’exprimer, où la contestation est possible,
où des commissions d’enquête évalueront la gestion de ce conflit sanglant et l’incurie
du gouvernement Netanyahou.
Bien sûr ces faits
résultent d’une Histoire longue et complexe, jalonnée d’horreurs, d’injustices,
d’expulsions, d’occupations, et aussi de volontés de paix réduites au silence
par une spirale de haine. L’Histoire avec
une grande hache. Mais ceux qui renvoient dos à dos crimes de guerre contre
crimes de guerre, résistance féroce contre occupation brutale, « la guerre
c’est horrible pour tout le monde », ceux-là doivent être nommés « négationnistes ».
· *D’après Primo Lévi, premiers vers du poème introductif à « Si c’est un
homme »
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