samedi 21 novembre 2020

Y a-t-il un complot derrière le complotisme ?

 

 

« Complotisme » est un néologisme par la magie duquel le monde se partage aujourd’hui en deux groupes irréconciliables, les complotistes et les anticomplotistes. Ce clivage binaire ignore les oppositions qui avaient cours jusque là : gauche vs droite, libéral vs antibéral, européiste vs souverainiste,… il divise les familles, les groupes amicaux. Faut-il encore rappeler que « mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde » ?

        Au sens propre les « complotistes » sont les tenants d’une « théorie du complot » : l’explication d’une série d’évènements graves par la volonté maléfique d’un petit groupe dont l’action secrète et hyper efficace vise l’asservissement d’une population, d’un peuple ou même de l’humanité toute entière. Ainsi cette idéologie – terme plus adéquat que « théorie » - substitue à l’opposition politique des discours et des doctrines, le postulat d’une guerre menée secrètement par un petit groupe très puissant et déterminé, contre le reste du monde - la guerre de quelques uns contre tous. Par elle il n’y a plus d’adversaires avec qui la discussion et le compromis seraient possibles, mais des ennemis implacables avec qui toute négociation est impossible, c’est eux ou nous.

         Si le complotisme rencontre un tel succès c’est qu’il remplace la complexité, le hasard, la contingence et l’incompétence qui rendent la réalité toujours partiellement opaque et le combat politique laborieux, par la simplicité lumineuse et transparente d’une explication simple et univoque. Porté et amplifié de façon hyperbolique par les réseaux sociaux, il représente un grave danger contre l’espace public démocratique car il sape la base de faits établis fondant un « monde commun » où la discussion visant la recherche du meilleur argument est possible.

       L’alternative complotisme vs anticomplotisme est piégée, car les complots existent bel et bien, ils ont même toujours existé car de tous temps des puissants ont œuvré dans l’ombre pour accroître leur domination. Ainsi il faut bien distinguer la théorie du complot et les thèses de complots. Les secondes sont formulées par des journalistes (le Watergate), des historiens (l’affaire Dreyfuss) ou des lanceurs d’alerte (l’affaire Mediator), à l’appui de preuves basées sur des faits, soumises à la critique des pairs, là où la première joue sur un faisceau de présomptions, des coïncidences, des incohérences, des zones d’ombre inexpliquées, la confusion entre la culpabilité et l’intérêt - ceux à qui « profitent le crime » ipso facto coupables -, des opinions, des interprétations, des commentaires par des pseudo experts, isolés ou hors de leur champ de compétence.

        Enfin il y a un mythe conspirationniste à abattre consistant à faire croire que des individus intègres et désintéressés dénoncent un grand complot global et terrifiant, œuvrant ainsi pour le bien de l’humanité en prenant des risques considérables. La réalité est tout autre : il y a un véritable lobby conspirationniste, une économie très prospère, profitant de la liberté d’expression, où des marchands de doute et de peur sont en concurrence pour capter des parts de marché de temps de cerveau disponible d’individus manipulés. Cependant le complotisme ou l’anticomplotisme peuvent aussi être des instruments politiques de propagande visant à produire du ressentiment, désigner des boucs émissaires, délégitimer l’Etat républicain ou au contraire discréditer toute critique radicale et fondée.

Avant de juger, demandez-vous à qui profite le complot complotiste ?

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