dimanche 15 novembre 2020

L'exception est-elle devenue la règle ?

 

Par les effets conjoints du terrorisme et de l’épidémie de Covid-19, l’extension illimitée de l’état d’exception devient subrepticement la règle. On ne peut pas nier la réalité de l’épidémie, mais la manière dont le politique l’affronte, peut et doit être mise en question. Or nous avons besoin de concepts pour penser ce qui nous arrive, j’en propose trois : la biopolitique, la santé, la normativité vitale.

La biopolitique - concept créé par Michel Foucault – désigne la gestion des corps par le pouvoir étatique. Ce concept implique une division du Corps politique : côté face le peuple, sujet du politique, qui s’informe, agit, vote, manifeste, s’engage, côté pile la masse amorphe, objet de la biopolitique, à gérer par le soin et le contrôle. L’épisode que nous traversons marque la réduction du peuple-sujet à la masse-objet, et parallèlement celle d’une politique du « bien vivre » guidée par la raison, à une logique de la survie, pilotée par la rationalité impersonnelle des chiffres.

La santé, irréductible à la vie biologique « dans le silence des organes », est définie par l’OMS comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

Ces deux concepts peuvent s’articuler pour comprendre ce que nous traversons : un épisode biopolitique, visant à soustraire « coûte que coûte » de la vie tous ses aspects non-strictement biologiques et économiques – sociaux, culturels, affectifs, psychiques,…. La biopolitique covidienne réduit la santé à la pure et simple survie biologique.

La normativité vitale, concept forgé par le philosophe Georges Canguilhem, est la capacité du vivant sain à choisir ou à rejeter, alors que la pathologie marque une réduction voire une suspension de cette capacité. Être un vivant sain, c’est pouvoir choisir, y compris la possibilité de risquer sa vie. La normativité, distincte de la normalité comme conformité à une norme, est la disposition individuelle de fixer ses normes de vie en fonction de valeurs. Or l’homme est cet animal étrange pour lequel la survie biologique n’est pas la valeur suprême. Troisième réduction en cours : la normativité vitale réduite à la soumission à une norme sanitaire statistique.

A-t-on demandé aux « personnes à risque » si elles préféraient le risque de mourir du Covid-19 à celui de sombrer dans la misère ou la dépression ? La biopolitique verticale autoritaire sacrifie autoritairement certaines catégories sociales pour le bien commun, le long terme au court terme, et ce faisant elle disqualifie la normativité collective – le débat démocratique – ou individuelle – l’arbitrage entre les risques et les valeurs. Big brother is caring about you !

En faisant de l’état d’exception sanitaire et sécuritaire la règle permanente, en réduisant le peuple des citoyens à une masse d’individus atomisés n’ayant qu’un seul horizon, la survie bio-économique, le système de biopouvoir néo-libéral étend son empire. Aucun complot mais un processus impersonnel aveugle auquel nous collaborons tous.

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