Dans cette campagne électorale
crépusculaire, la question de la vérité se réduit à la publicité des
patrimoines et des revenus des candidats, comme si cela avait le moindre
rapport avec leur capacité à gouverner. Cette focalisation pointilleuse pose
néanmoins une vraie question : la vérité est-elle une valeur
démocratique ? Cela n’a rien d’évident car la vérité est, au sens fort,
univoque et indépendante des points de vue individuels, alors que la démocratie
implique par définition la coexistence d’une pluralité d’opinions et de
conceptions de la vie bonne. Cependant la vérité est une valeur démocratique cardinale
dans la mesure où elle sert justement à départager les opinions soumises à la
discussion. Quant aux discours politiques, leur valeur de vérité doit être
jugée en fonction du monde qu’ils visent : le monde des idées, le monde
matériel ou le monde vécu. Enfin,
ça c’était avant…
Dans le monde des idées, la valeur de vérité des doctrines politiques dépendait
de leur cohérence et d’un rapport à la réalité patiemment élaboré par de
grandes figures intellectuelles. Aujourd’hui les idéologies se réduisent à la
logique d’idées simples - au choix : la préférence nationale, le revenu de
base, le ni-droite-ni-gauche, la corruption des élites, le péril migratoire, le
redressement national, le rétablissement des frontières,…
Dans le monde matériel, l’évidence de faits établis par des experts
reconnus s’imposait à tous et constituait une base stable et commune pour le
débat. Mais à l’ère des réseaux sociaux, le fact checking se révèle totalement
impuissant – comme face à Trump ou au Brexit. Dans le foisonnement des médias, il
ne reste plus comme source digne de confiance que celle qui pense comme moi, celle
qui affirme ce que je « sais » déjà.
Quant au monde vécu, celui des émotions et des opinions individuelles, c’est
celui que visent le rhéteur, le tribun ou le bonimenteur, ici la « vérité »
se confond avec l’efficacité d’un discours qui sonne juste à mes oreilles, qui
me parle, qui résonne émotionnellement avec ma vision du monde.
La valeur démocratique d’une vérité
objective indépendante des opinions personnelles s’efface ainsi peu à peu au
profit d’un vague sentiment de vérité, un simple effet du discours. Cette
réduction de la vérité à sa dimension purement subjective est un symptôme du
dernier stade de l’ordre représentatif, l’oligarchie élective, que nous nommons
par abus de langage « démocratie » : l’ère de la téléréalité
politique.
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans
ce clair-obscur surgissent les monstres. » Gramsci
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