Quand toute
tentative de réforme de l’école se heurte de façon quasiment automatique à un
déferlement de critiques, voici au moins un point qui fait consensus : la réintroduction
de l’enseignement de la morale laïque et républicaine à l’école. Face à « l’urgence
de restauration d’un ordre moral », cet apprentissage serait un - voire le
- remède contre la montée de l’intégrisme, de la violence et des incivilités. Qu’en
est-il ?
Je prétends que
cette idée est à la fois confuse, naïve et dangereuse.
Confuse car elle
assimile subrepticement deux notions distinctes : le bien et le juste. Le bien
concerne l’idée de vie bonne pour soi, le juste concerne la relation avec autrui
et l’harmonie sociale. Par ailleurs, elle laisse supposer qu’il y aurait une
morale et une seule, alors même qu’il y a un pluralisme des doctrines morales
concernant le bien ou le juste, et c’est d’ailleurs ce pluralisme qui est à la
source de nombreux conflits.
Naïve car elle
suppose qu’un enseignement explicite de certaines valeurs morales pourrait
avoir une efficacité dans la vie réelle. Or la morale est affaire d’exemplarité
et de comportement, non de connaissances. Plusieurs études montrent même que le
raisonnement moral joue un rôle négligeable dans les comportements éthiques,
contrairement aux émotions et aux intuitions. Combien y avait-il de professeurs
de morale parmi les justes ?
Enfin, je
prétends que l’enseignement de la morale à l’école est dangereux. En effet, il
doit porter de façon centrale sur les trois valeurs républicaines « cardinales » :
la liberté, l’égalité et la fraternité, or l’école incarne actuellement leur
faillite :
Quelle liberté
dans une institution hyper centralisée, hiérarchisée, réglementée, où l’autonomie
est systématiquement découragée ?
Quelle
égalité dans le lieu de la reproduction massive des inégalités sociales ?
Quelle
fraternité dans une école qui privilégie la concurrence généralisée entre élèves
et entre établissements ?
Ainsi la contradiction flagrante entre
le discours de l’institution et sa réalité concrète risque fort de radicaliser
la révolte et le rejet de ceux qui sont en fait visés par ce projet : les plus
pauvres.
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