jeudi 3 septembre 2015

Faut-il enseigner la morale à l'école ?



Quand toute tentative de réforme de l’école se heurte de façon quasiment automatique à un déferlement de critiques, voici au moins un point qui fait consensus : la réintroduction de l’enseignement de la morale laïque et républicaine à l’école. Face à « l’urgence de restauration d’un ordre moral », cet apprentissage serait un - voire le - remède contre la montée de l’intégrisme, de la violence et des incivilités. Qu’en est-il ?
Je prétends que cette idée est à la fois confuse, naïve et dangereuse.
Confuse car elle assimile subrepticement deux notions distinctes : le bien et le juste. Le bien concerne l’idée de vie bonne pour soi, le juste concerne la relation avec autrui et l’harmonie sociale. Par ailleurs, elle laisse supposer qu’il y aurait une morale et une seule, alors même qu’il y a un pluralisme des doctrines morales concernant le bien ou le juste, et c’est d’ailleurs ce pluralisme qui est à la source de nombreux conflits.
Naïve car elle suppose qu’un enseignement explicite de certaines valeurs morales pourrait avoir une efficacité dans la vie réelle. Or la morale est affaire d’exemplarité et de comportement, non de connaissances. Plusieurs études montrent même que le raisonnement moral joue un rôle négligeable dans les comportements éthiques, contrairement aux émotions et aux intuitions. Combien y avait-il de professeurs de morale parmi les justes ?
Enfin, je prétends que l’enseignement de la morale à l’école est dangereux. En effet, il doit porter de façon centrale sur les trois valeurs républicaines « cardinales » : la liberté, l’égalité et la fraternité, or l’école incarne actuellement leur faillite :
Quelle liberté dans une institution hyper centralisée, hiérarchisée, réglementée, où l’autonomie est systématiquement découragée ?
Quelle égalité dans le lieu de la reproduction massive des inégalités sociales ?
Quelle fraternité dans une école qui privilégie la concurrence généralisée entre élèves et entre établissements ?
Ainsi la contradiction flagrante entre le discours de l’institution et sa réalité concrète risque fort de radicaliser la révolte et le rejet de ceux qui sont en fait visés par ce projet : les plus pauvres.

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