jeudi 22 mai 2014

Qu'est-ce que l'Europe ?

Quand on parle de l’Europe, parle-t-on du Parlement, du Conseil, de la Commission, de la zone euro, de la technocratie bruxelloise ? Quand on parle des enjeux de l’élection européenne, parle-t-on de culture, d’économie, d’harmonisation, de gouvernance ? Ou encore  des effets de la politique de l’u.e. sur la vie des gens et des entreprises : le chômage, la compétitivité, les subventions, les normes, les règlements... Bref, l’Europe on ne sait pas trop ce que c’est, mais on sait ce que ce n’est certainement pas : un peuple européen conscient de lui-même.
Pour répondre à la question « Qu’est-ce que l’Europe ? », il faut déterminer son noyau spécifique, ce qui la distingue radicalement des autres continents. Pour ma part je ne vois qu’un seul critère distinctif : l’extrême diversité des peuples et des nations qui la composent. En effet, nulle part ailleurs, on ne trouve, concentré sur un territoire aussi exigu, une telle diversité de pays, de cultures, de paysages, de langues, de modes de vie. Paradoxalement, ce qui fait l’unicité de l’Europe et donc son unité, c’est sa diversité ! Or l’idéal des Lumières, celui-là-même qui a inspiré ceux qui ont porté l’Europe sur les fonts baptismaux, était de fonder un ordre purement politique et juridique, et de réduire le peuple à un ensemble de citoyens égaux car abstraits de toutes leurs déterminations particulières. Ainsi, l’Europe qui a été le terreau des Lumières, est donc aussi, en elle-même, le principal obstacle objectif à la réalisation de leur idéal émancipateur par abstraction des différences. Aujourd’hui, la perspective de l’indifférenciation des citoyens suscite dégoût et rejet, et l’on voit partout s’exprimer une passion de la différenciation contre celle de l’égalité, vue comme une normalisation froidement gestionnaire et administrative : différences hommes/femmes, couples hétéro/couples homos, français de souche/immigrés, flamands/wallons, pro-russes/pro-ukrainiens, bretons/poitevins, chrétiens/musulmans,…

La diffusion de cette passion identitaire et différentialiste, porte en germe l’éclatement de l’Europe,… Or on nous parle de politique agricole, de normes européennes, d’harmonisation fiscale ! Voudrait-on exacerber le rejet de l’Europe, on ne s’y prendrait pas autrement !

mardi 22 avril 2014

Peut-on en finir avec l'esclavagisme ?



 Être esclave, c’est être réduit au rang d’objet, dans un rapport de domination, rapport par lequel l’esclave déleste le maître de la charge des besognes nécessaires, afin que celui-ci puisse consacrer l’essentiel de son temps aux activités libres, plus nobles (version féodale), plus hautes (version antique) ou plus distrayantes (version moderne).
Ma thèse est que, contrairement à ce qu’il nous plait de croire, nous ne sommes jamais sortis de l’esclavagisme ! Celui-ci a juste changé de forme : le passage des esclaves animaux aux esclaves humains puis aux esclaves machines a masqué la permanence du principe esclavage, insupportable aux yeux de la société occidentale qui se sent moralement si supérieure aux sociétés « barbares » du passé, ouvertement esclavagistes.
Et pourtant jamais dans l’histoire humaine, une société n’a tant dépendu de l’esclavage, ni autant cumulé ses 3 formes. Alors que le recours aux esclaves était autrefois réservé à une mince couche de la société, la classe aristocratique, il s’étend aujourd’hui à la classe moyenne mondiale dont chaque représentant dépend pour vivre de plusieurs dizaines d’« équivalents esclaves ». Ainsi par la magie de la rationalité instrumentale, l’individu occidental moyen peut calculer son empreinte écologique, appellation politiquement correcte de sa dépendance vis-à-vis de l’esclavage animal et machinal, mais il peut aussi calculer son « empreinte esclavagiste » (lien ci-joint) autrement dit la dépendance de son mode de vie vis-à-vis d’esclaves humains, sous-prolétaires « délocalisés » hors de sa vue, en Asie notamment, employés pour des salaires de misère aux tâches productives pénibles, ingrates, répétitives, abêtissantes, déshumanisantes.
Le grand rêve de la modernité occidentale était le remplacement des esclaves humains par les esclaves machines, mais pas la suppression du principe esclavage en lui-même. Ainsi, la permanence de ce principe quasi-universel, combiné à l’épuisement des ressources en matière et en énergie fossile qui sape drastiquement les possibilités de recours à grande échelle aux esclaves machines, rendent tout à fait imaginable la recrudescence à très grande échelle de l’esclavage humain.

jeudi 3 avril 2014

Peut-on savoir quelque chose sans y croire ?



Clément Rosset affirme dans un petit bijou de philosophie intitulé Le réel et son double qu’il n’est « Rien de plus fragile que la faculté humaine d’admettre la réalité ». Cette thèse se vérifie en moultes occurrences à l’échelle de l’individu, mais c’est à celle des sociétés qu’elle devient absolument évidente. En effet, l’Histoire confirme abondamment la capacité d’auto-aveuglement des hommes quant à ce qui leur pend littéralement au nez. Mais jamais auparavant, le dédoublement cognitif entre ce que nous savons et ce que nous croyons n’a été aussi abyssal : la destruction de la nature à l’échelle planétaire, prophétie d’autant plus forte qu’elle relève d’un savoir scientifique sur-documenté. Cette aveuglante évidence reste en effet purement théorique, puisque nous nous révélons collectivement incapables d’en tirer les implications pratiques en termes de comportement, à savoir la nécessité d’une modération drastique de notre consommation matérielle et énergétique, non pour éviter la catastrophe – elle est déjà en cours – mais pour en limiter les conséquences futures.
Nous savons mais nous n’y croyons pas… suffisamment pour accepter de changer notre point de vue sur le monde, nos formes de vie et nos habitudes. L’aveuglement volontaire se dédouble et se renforce d’une paresse de la volonté. Ainsi nous préférons croire au capitalisme « éco-responsable », aux voitures « propres », aux éoliennes, au recyclage, aux produits bio… pour ne rien changer.
Mais c’est au niveau politique que l’aveuglement volontaire atteint son paroxysme : notre système s’avère intrinsèquement incapable de penser et d’agir vis-à-vis des catastrophes à venir car les coûts de l’action préventive sont énormes alors que les gains politiques sont nuls. En effet, étant donné que ce qu’on a évité n’a aucune visibilité, empêcher un évènement d’advenir est totalement contre-productif en matière électorale. Pire : appeler à la modération de la consommation, agir pour la diminution du « vouloir d’achat », remettre en question la sacro-sainte croissance réductrice de chômage… au prix de la destruction du monde, sont suicidaires en matière électorale.

vendredi 14 mars 2014

Sommes-nous bien représentés ?

Représenter une chose, c'est mettre autre chose à sa place. L'approche des élections est l'occasion de s’interroger sur la notion de représentation, qui nous semble indissociable de celle de démocratie, or ce lien ne va pas de soi. Ainsi, l'aristocratie élective a longtemps été considérée comme la meilleure forme de gouvernement, et la démocratie comme la pire, étant donné que le peuple, c'est la plèbe, une masse indistincte, entièrement soumise à ses passions. L'assimilation de l'aristocratie élective à la démocratie s'est faite tardivement, par l'adoption du suffrage universel, au prix d’un paradoxe impensé : le peuple, soumis à ses passions, est inapte à gouverner, c'est-à-dire à délibérer et à décider par lui-même, pourtant il est capable de faire preuve de jugement pour choisir de bons représentants. Le corps des citoyens est donc un monstre hybride, à la fois irrationnel et doué de raison.
Pour penser ce qu'il est courant de nommer "crise de la représentation", il faut donc 1) revenir à son fondement réel : l'aristocratie élective, régime où le peuple est doté d’une seule capacité politique, celle de reconnaître les plus aptes à exercer le pouvoir, 2) examiner le mode de sélection de la dite "élite politique", formule particulièrement problématique puisqu’on ne sait pas si c’est l’élection qui, conformément à l’étymologie, fait l’élite, ou bien si l’élite préexiste à sa propre élection. Si l’on admet l’existence d’une telle élite indépendamment de l’élection, il convient bien sûr de s’interroger sur son domaine d’excellence. Or force est de constater que celui-ci ne relève ni de la compétence, ni de la vertu, mais de la capacité à séduire un auditoire : celui des militants d'un parti tout d'abord, celui des électeurs ensuite. Les premiers sélectionnant naturellement le candidat qui aurait le plus de chances de séduire les seconds, qui eux-mêmes sont contraints dans leur choix par la sélection des premiers. Il y a donc un jeu d'images et de miroirs, qui n'est qu'affaire de communication, et aucunement de compétence ou de vertu.
Nommer démocratie ce qui n'est en fait qu'une oligarchie légitimée par la mise en scène de l'élection est en fait une usurpation d'identité qui n'a qu'un but objectif : endormir la pensée critique. Il me semble qu'il est urgent de retrouver le sens de la démocratie, avant que la déliquescence du régime actuel ne débouche sur un régime ouvertement autoritaire : une oligarchie financière, une dictature nationaliste ou écologique.    

"Ce qui est fait pour nous, que d'autres ont décidé sans nous, est en réalité contre nous. Soyons des êtres actifs. " disait Nelson Mandela.

jeudi 27 février 2014

Quel rapport entre l'éducation et la révolution ?



L’Ukraine et le genre… La révolution et l’éducation se télescopent dans l’actualité, voisinage plein de sens. Ex-ducere, tirer d’un état originaire – la caverne - ; Re-volvere, revenir à son point d’origine… La révolution ramène-t-elle les individus dans la caverne … ou bien là où l’éducation les lâche ? Deux cas de figure radicalement différents… même s’il y a toujours un peu des deux en tout révolutionnaire, à la fois l’enfant capricieux qui veut tout, tout de suite, et le jeune idéaliste qui refuse de se soumettre au principe de réalité… Entre l’enfant et le jeune, un fossé : l’éducation. Ainsi, toute éducation aboutit à un certain potentiel révolutionnaire, que le cours de l’Histoire révèle, ou pas, attise ou étouffe… Comme Rousseau nous l’enseigne, il faut éduquer Emile avant d’envisager le Contrat social… Inversement, toute révolution révèle ce que vaut l’éducation qui l’a précédée : a –t-elle renforcé les stéréotypes de la caverne, ou donné des repères pour s’en émanciper ?
Les stéréotypes sont toujours du côté d’un ordre établi : la coïncidence de ce qui est, ce qui paraît être et ce qui doit être… Tout est bien ainsi puisque c’est ainsi !
Les repères sont les outils de l’émancipation vis-à-vis de l’ordre établi car, contrairement aux stéréotypes, ils dissocient l’être et l’apparence, le fait et le droit.
La polémique sur le genre tient pour beaucoup à une confusion entre stéréotypes et repères, deux points fixes concernés par l’éducation… mais d’un genre diamétralement opposé. Les premiers sont les piliers de la caverne : le prêt-à-penser, les préjugés, les ornières mentales creusées et solidifiées au fil des générations, ils sont des obstacles à l’éducation. Ils s’acquièrent par contagion, inconsciemment et sans effort.
Les seconds sont les gonds autour desquels la pensée critique pourra se développer, volvere, revolvere… La langue, la grammaire, l’orthographe, l’esprit scientifique, les mathématiques, l’Histoire,… Ils sont les conditions de l’émancipation. Ils s’acquièrent par un enseignement explicite, et jamais sans effort…
La révolution des stéréotypes est régressive, celle des repères est propulsive.

vendredi 14 février 2014

La nudité à l'école mérite-t-elle une croisade morale ?

Bigots contre pédagos, deux bien-pensances diamétralement opposées : la gigantomachie morale est à son comble.
A droite, les curés de Dieu : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir, par de pareils objets les âmes sont blessées, et cela fait venir de coupables pensées. »
A gauche, les prêtres laïcs : « Montrez ce sein, et le reste aussi, par de pareils objets les esprits sont éduqués, et cela produira des citoyens éclairés". »
Une autre voix existe, inaudible, couverte par ce tintamarre : 
« Traitez tous les enfants à égalité, filles ou garçons, instruisez-les de la même façon, ne tolérez aucune attitude sexiste, raciste, xénophobe ou homophobe, ne laissez jamais le sexe déterminer un choix d'orientation... Quant à la morale : enseignée, elle n'est qu'un discours vite oublié, rendu inopérant par le discrédit massif des institutions, pratiquée, elle se montre par des actes et s’explicite au moment opportun, quand la situation l'exige. »
Mais le débat est truqué, car la tartufferie symétrique des bigots et des pédagos, se heurte à ce fait massif : les stéréotypes de genre sont forgés en dehors des familles, des églises et des écoles, par les industries de colonisation de l’imaginaire, dont le bras armé est la pub, et qui ont besoin d'un marché bien structuré, scindé en boys et en girls, pour mieux vendre leur camelote, bleue ou rose, leur prêt à porter masculin et féminin, leurs sites porno et de rencontres, leur presse people, leurs séries télé et leurs jeux vidéo... La polémique actuelle apparaît alors comme un leurre savamment orchestré et relayé par les médias, pour nous faire croire que les institutions traditionnelles sont toujours le creuset des stéréotypes et des normes. Réveillez-vous 

vendredi 31 janvier 2014

Femme ou homme : nature, stéréotype ou norme ?

Dernière crise de panique morale : après le "Mariage pour tous", il y aurait une nouvelle tentative visant à déstabiliser l'"un des piliers de la civilisation", la différence homme/femme. Plus précisément, il s'agirait d'inculquer dès le plus jeune âge une "théorie du genre" résumée par la formule de Simone de Beauvoir :"On ne naît pas femme, on le devient", qui vise à dissocier le sexe - mâle /femelle - et le genre - masculin/féminin. Catastrophe ! Le fantasme paranoïaque à l'origine de cette panique, s'ancre dans le postulat suivant : le politique a le pouvoir de modifier, voire d'abolir les stéréotypes et les normes, qui constituent notre héritage commun multiséculaire. Qu'il s'agisse du mariage, de l'identité de genre ou de la fin de vie, peut-on disposer librement des stéréotypes et des normes ?
Pour y voir clair, il convient de distinguer les différences biologiques (b) inscrites dans le génome, les stéréotypes (s) enkystés dans la langue, les normes (n) instituées dans la culture, et les lois (l) adoptées par le législateur. Dans chaque société, le rapport complexe entre b, s, n et l, se traduit par un équilibre entre deux pôles diamétralement opposés : l'indistinction totale et la disjonction radicale, deux abîmes mortifères... car une société vivante implique un jeu entre b, s, n et l. Si les stéréotypes et les normes ne sont pas disponibles à la libre volonté de chacun, faut-il pour autant les subir comme un destin, ou jouer avec comme des occasions d'exercer notre liberté ?
Mais, poser la question en ces termes, c'est déjà y répondre, non ?