vendredi 19 décembre 2025

Entre politique et démocratie, faut-il choisir ?

 

Les éleveurs refusant violemment une politique sanitaire décidée sans eux s'inscrivent dans la brèche ouverte par les Gilets jaunes : une exigence démocratique (RIC, conventions citoyennes, participation, refus de l'autoritarisme technocratique,...), couplée à un rejet de la politique réglementaire et procédurale qui produit des règles décidées en haut au nom du bien commun. Faut-il alors se résoudre à opposer l’idéal démocratique et l’exercice de la fonction politique ?

Démocratie est un concept flou car invoquer le gouvernement du Peuple implique qu'on sache précisément ce qu’on entend par le vocable « peuple ». À l'origine athénienne, le Demos, l’ensemble des citoyens, excluait les femmes, les métèques et les esclaves. Par la suite démocrate était un terme hyperpéjoratif car peuple signifiait la plèbe, une masse inculte et misérable, uniquement mue par ses passions. La démocratie élective majoritaire s'est imposée en Occident au XIX siècle comme légitimation d’un système représentatif par nature aristocratique : le gouvernement du peuple – réduit à la majorité des suffrages exprimés - par les meilleurs, une élite élective. Cet assemblage a tenu par l’affirmation du principe méritocratique : tout citoyen peut a priori accéder à toutes les fonctions. Hélas, aujourd'hui beaucoup plus qu’hier, l'avenir d'un enfant est, sauf rares exceptions, surdéterminé par la catégorie sociale de ses parents. Par cet effet la classe populaire (ouvriers et employés) représente 45% de la population, mais à peine 6% des députés. Constat tragique mais significatif : ce sont les partis des extrêmes qui font le plus de place aux classes populaires.

            Par ailleurs l’idée de Peuple renvoie à un ensemble unifié homogène et harmonieux qui s’opposerait par essence à une Élite toute aussi unifiée et homogène. Or la réalité concrète du peuple, corps des citoyens, comme de ses élites - est un agglomérat hétérogène de groupes variés aux valeurs et aux intérêts distincts.

Si l’on revient au sens propre de l’idéal démocratique - gouvernement du peuple, par le peuple pour le peuple - où citoyen désigne autant l’acceptation d’être gouverné que la capacité à pouvoir gouverner, notre régime politique représentatif, est de fait oligarchique et de moins en moins démocratique. Par contre il est de plus en plus politique, au sens d'une négociation agonistique permanente entre une multitude de partis, en tous points opposés, qui prétendent chacun représenter le Peuple, alors-même qu’ils ont de moins en moins d'adhérents, et qu’ils génèrent plus de défiance que d’adhésion.

Nous sommes fascinés par le show d’une campagne électorale permanente, obnubilée par la question présidentielle, occultant celle, autrement cruciale, d’une anti-politique démocratique en guerre contre une politique antidémocratique. Si nous continuons à occulter cette question, la fin de la démocratie est notre horizon inéluctable.

1 commentaire:

  1. Coucou Claude :) Ton texte m’a donné envie de creuser un peu le sujet. Je me suis documenté sur Arendt et Tocqueville, 2 philosophes du 19eme et du 20eme siècle que je ne connaissais pas. Je n’ai pas lu leurs œuvres complètes bien sûr mais mes recherches rapides sur le net m’ont montré à quel point certaines de leurs idées rejoignent ce que je ressens intuitivement.

    Face à la verticalité de notre politique je ressens souvent une forme d’impuissance citoyenne. C’est exactement ce que tu décris : la tension entre démocratie et politique n’est pas théorique, elle se vit au quotidien. Plus la politique s’autonomise, se verticalise, plus la démocratie semble se retirer.

    Pourtant, je crois que cette démocratie ne disparaît pas complètement. Elle se déplace en quelque sorte.. Nos échanges, cette conversation, me rappellent qu’elle existe là où la parole circule vraiment et où l’action est possible. La conversation devient alors un vrai espace politique, un moment où le citoyen peut encore être présent.

    C’est d’ailleurs pour ça que j’ai choisi de travailler dans le monde associatif. Agir concrètement, à une échelle aussi petite soit-elle où l’on peut voir un résultat, me semble la manière la plus concrète de relier démocratie et politique je crois que j’avais déjà évoqué cela dans un précédent échange.

    Merci encore pour ce texte et pour cet espace de réflexion que tu ouvres. Ça donne vraiment envie de penser, mais surtout de discuter, ensemble. Je t’embrasse et te souhaite une belle fin d’année. Stef

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