Les technologies de l’information et de la communication semblent
répondre à une demande exorbitante de communication. Mais ne produisent-elles
pas plutôt de l’incommunication ?
Selon la formule de l’école de Palo Alto, on ne peut pas ne pas communiquer, autrement dit le partage de sens
est la condition première de l’être humain, animal social par nature. Cependant
la complexité de la communication entre individus singuliers, a pour effet que
l’incommunication n’est pas l’exception mais plutôt la règle. En effet chacun-e
entre en communication lesté-e de ses aprioris, sa propre grille, sa vision du
monde, ses valeurs, son vécu irréductiblement unique. Ainsi
l’intercompréhension apparait comme un horizon idéal, la norme est plutôt
l’incompréhension. Mais loin d’être un empêchement, cette faille oblige les
êtres humains à négocier, interpréter, réfléchir, dialoguer. C’est elle qui
fait de l’humain un animal politique. Nous nous comprenons imparfaitement, mais
suffisamment pour coopérer, cohabiter, délibérer,…
On nous vend les IA, les réseaux et les algorithmes comme une
utopie réalisée : la communication de chacun avec tous, ou de tous avec
chacun. Mais ces technologies, contrôlées par des structures de pouvoir, opèrent
une rupture anthropologique : la communication ne se fait plus avec un
autre radicalement différent, mais avec un même que soi. En effet les algorithmes
produisant des bulles de filtres, génèrent des communautés de croyances. Les autres,
qui ne pensent pas du tout comme nous disparaissent petit à petit de nos écrans.
Par ailleurs avec les I.A. « agents conversationnels », nous seront
de plus en plus en relation avec un autre, qui dit « je » et
« tu » mais qui n’est en fait qu’un reflet algorithmique de nous-mêmes,
nourri de toutes nos données personnelles disponibles en ligne. Ainsi
l’ambigüité, la diversité, l’altérité radicale, inhérentes à l’incommunication
humaine vont laisser place à la communication fluide du même avec le même, un
narcissisme numérique. La confrontation avec l’autre laissera place à la
confortation de soi-même. L’hyper-communication numérique supplante ainsi l’incommunication
sociale. L’idée d’un corps politique fait de groupes divers, en négociation permanente,
va laisser place à une juxtaposition agonistique de communautés allergiques à
l’altérité, et donc à l’idée-même de démocratie.
Que faire ? Privilégier autant que possible les espaces de
rencontre avec les autres qui ne pensent pas comme nous - comme ici dans le
petit groupe de la Conversation -, refuser l’embrigadement dans les réseaux
(anti)sociaux : déserter.