L’empathie est une disposition à
comprendre l’état subjectif d’autrui, notamment sa souffrance, en se mettant à
sa place. L’empathie apparaît dès lors comme le fondement de la
morale. Mais par sa nature, l’empathie n’est peut-être pas le meilleur guide de
nos décisions morales.
La vie nous amène
régulièrement à exercer notre capacité d’empathie avec nos proches, mais, par
les médias et les réseaux sociaux, nous sommes de plus en plus exposés, et même
surexposés, au spectacle de la souffrance d’autres, loin voire très loin de
nous. Nous comprenons leur peur, leur souffrance, leur désespoir, leur
sentiment d’abandon, car nous l’avons tous un jour ressenti, pour nous-mêmes ou
nos proches, mais aussi parce que, à travers la littérature et le cinéma, nous
avons expérimenté d’autres vies. Cependant on peut légitimement se demander si
l’invasion des écrans n’est pas en train de saper les capacités d’empathie. Par
ailleurs, qui en France aujourd’hui peut comprendre ce que ressent celui ou
celle qui est pourchassé(e) en raison de son identité, qui est pris(e) en
otage, qui vit dans la peur d’un bombardement, qui se terre dans un abri, qui
est privé(e) des biens matériels nécessaires à la survie ?
En outre, la sollicitation médiatique
permanente de notre empathie a un biais redoutable : elle partage le monde
entre nos semblables et les autres. En effet, l’empathie, contrairement à la
sympathie et la compassion, implique un effort cognitif pour se mettre à la
place d’autrui. Or cet effort est quasiment nul lorsqu’il porte sur des
personnes que nous connaissons, ou dont nous nous sentons proches. Mais plus la
personne impliquée est éloignée de nous, géographiquement et surtout
culturellement, plus la situation qu’elle vit est différente de notre
expérience, plus l’empathie implique un effort coûteux.
Ainsi l’empathie s’avère
sélective selon l’éloignement de la victime au groupe auquel nous nous
identifions. Cette sélectivité a été objectivée par de nombreuses expériences
en psychologie sociale. Elle a pour effet de relativiser notre empathie : minime
comme pour les dizaines de milliers de morts au Soudan, les millions de morts
au Congo, le traitement inhumain infligé aux Ouïghours en Chine, modérée chez
beaucoup pour les victimes de l’opération clairement génocidaire du Hamas le 7
octobre 2023 en Israël, et pour les otages encore détenus par le Hamas, maximale
pour les victimes palestiniennes. Dans ce cas, la sur-empathie amène à
comprendre, au sens littéral prendre à notre compte, la colère, la haine, le
désir de vengeance vis-à-vis de ceux qui ont provoqué leur souffrance, Israël.
Elle occulte la responsabilité écrasante du Hamas qui a généré cette situation
et l’entretient en refusant de libérer les otages, ou rendre leur dépouille. En
France la solidarité avec le peuple palestinien fait partie de l’ADN de la
gauche, alors que celle avec Israël, petit pays démocratique entouré d’ennemis,
n’a jamais été simple, elle est devenue aujourd’hui impensable. Qui ose
aujourd’hui, s’il n’est pas juif, éprouver publiquement de l’empathie pour les
morts du 7 octobre, les otages du Hamas et leurs familles ? Par empathie Israël
est aujourd’hui le nom du Mal, et les juifs, le peuple élu de la haine
universelle.